• Kütüphane
  • Harita atölyesi
  • Görsel Arşiv
Institut français d'études anatoliennes Institut français d'études anatoliennes Institut français d'études anatoliennes
  • Accueil
  • Araştırmalarımız
    • Arkeoloji
      • Tanıtım
      • Usul hakkında
      • Yüzey araştırmaları ve kazılar
      • Moving Stones. Europe’s Neolithic Bridge: Anatolia
    • Tarih
    • Güncel çalışmalar
      • Tanıtım
      • Türk Siyaseti Gözlem Merkezi
      • İstanbul Şehir Gözlem Merkezi
    • Çapraz araştırmalar
      • Anadolu mirası
      • Çevre
      • Fransa’daki Anadolu diasporasının sesleri
      • Faire Méditerranée
  • Hizmetlerimiz
    • Konferans salonu kiralama
    • Konaklama
    • Kütüphane
    • Harita atölyesi
  • Etkinliklerimiz
    • Tüm etkinlikler
    • Arkeoloji
    • Tarih
    • Güncel çalışmalar
  • Yayınlarımız
    • Anatolia Antiqua
      • Anatolia Antiqua XXII-
      • Anatolia Antiqua I-XXI
    • Varia Anatolica
    • IFEA Arkeoloji Buluşmaları
    • Günümüz Türkiyesi koleksiyonu
    • Günümüzde kültür mirası koleksiyonu
    • Çevrimiçi yayınlar
      • Open Edition Books
      • Persée
  • Bize katılın
    • Kısa süreli burs
    • Staj

Hélène Delos : Géographie du mouvement : Les flux migratoires entre le Maghreb et la Turquie dans la structuration des espaces urbains parcourus

Le but de cet article vise à interroger, à la lumière des résultats d’enquêtes d’une première année de recherche à Istanbul, les outils méthodologiques et la connaissance géographique (concepts, démarche, portée de la recherche) liés aux migrations et à la transformation des espaces urbains investis par les migrants.
Notre étude s’appuie sur la problématique des recompositions territoriales que suscitent les mouvements des migrants maghrébins qui parcourent, traversent et investissent des espaces métropolitains connectés par les circulations de femmes et d’hommes, les échanges (matériels ou immatériels) entre le Maghreb et la Turquie. Nos angles d’investigations suggèrent la prise en compte de la dynamique temporelle pour croiser les échelles de temps et d’espaces dans la constitution de ce phénomène migratoire, où une large place est accordée aux parcours migratoires et aux différents acteurs (de la sphère politique à l’entrepreneur en passant par les “ fourmis ” ). En effet, comment appréhender ces nouveaux agencements territoriaux articulant des espaces locaux dont les réseaux de relation qui les fondent ressortissent à des logiques transnationales, sur lesquelles se greffent des initiatives individuelles et collectives ? Complexité des formes et des parcours migratoires, imbrication des phénomènes observés avec des formes d’ouverture (effondrement du bloc soviétique, inscription des Etats dans une économie-monde) ou de clôture territoriale (l’Europe de Schengen) : c’est dans ces interstices entre liberté d’action et contraintes que les acteurs -les migrants en l’occurrence- vont chercher des ressources là où la mobilité, entendue comme stratégie, favorise des complémentarités entre des espaces rendus de plus en plus proches grâce aux modes de transports.

Lectures d’une dynamique migratoire et de ses implications spatiales

L’orientation des problématiques sur les migrations autour des notions de l’entre-deux et des territoires de parcours révèle d’une part la complexification des migrations dans un contexte de mondialisation et d’autre part le nécessaire dialogue entre les sciences sociales et humaines pour se doter d’outils méthodologiques plus pertinents. La socio-anthropologie a quitté l’approche par trop réductrice du couple immigration/intégration qui excluait l’analyse du mouvement pour ne saisir qu’un bout de la trajectoire du migrant : l’espace d’accueil et son parcours d’intégration sur les voies tracées par les Etats-nations. La prise en compte du parcours s’illustre par l’utilisation de notions concernant la situation migratoire du migrant : la situation d’errance qui peut rejoindre celle de nomadisme et l'organisation en diaspora décrites par A. Tarrius, ou l’espace des déplacements : les va-et-vient (M. Poinard, 1991) et le territoire circulatoire (A. Tarrius, 1993). Ces tendances s’expriment dans le “ passage d’un paradigme d’intégration à un paradigme mobilitaire ” .
La géographie s’est enrichie de ces remaniements conceptuels. La notion de champ migratoire, développée par G. Simon au sein de l’équipe Migrinter, témoigne de ce glissement conceptuel : l’évolution du titre de sa thèse , où l’espace des Tunisiens en France est finalement décliné à travers le prisme d’un “ champ social international ” est à ce titre significatif. De même, le terme de géodynamique initié par le même auteur, met l’accent sur “ le lien entre la dynamique de ces mouvements humains et l’espace où ils s’inscrivent ” . Saisissant ces transformations, les rapports des hommes au territoire, à l’espace et au temps, la géographie peut dès lors entrer dans un nouveau paradigme territorial.
Sans reprendre l’ensemble des travaux concernant ce nouveau champ sémantique, notre propos souhaite souligner quelques évolutions de sens en rapport avec notre travail de recherche. Notre objet d’étude s’articule autour de la connaissance des espaces produits par les migrants maghrébins, créateurs de nouvelles territorialités et promoteurs de nouveaux agencements territoriaux. Nous avons situé notre domaine d’étude dans un champ migratoire qui s’étend du Maghreb à la Turquie, et plus exclusivement entre des villes du Maghreb et la métropole stambouliote. Avant de revenir sur les notions qui nous paraissent les plus adéquates pour cadrer notre démarche, une recontextualisation du phénomène migratoire observé est nécessaire. La présence maghrébine à Istanbul, ville que nous avons choisie comme premier observatoire d’espaces locaux investis par des populations désignées comme “ turbulentes ” , est indissociable du rôle déterminant de la Turquie en tant que carrefour entre l’Europe, l’Asie et le monde arabe. L’effondrement du système communiste, la politique de libéralisation économique impulsée par l’ancien président Turgut Özal dans les années 1980 pour diversifier ses partenaires commerciaux , la difficulté d’obtenir un visa pour pénétrer l’espace de Schengen, sont des événements majeurs pour comprendre l’attraction qu’exerce aujourd’hui la capitale économique de la Turquie. Lieux de convergence des migrations originaires de l’ex-URSS, des Balkans, ou du monde arabe, mais aussi des migrations internes (en provenance de l’Anatolie du Sud-Est), des espaces de la ville se sont organisés autour de cette nouvelle ressource, la mobilité des migrants transnationaux, nourrissant l’économie locale du textile en particulier. Ces lieux de consensus entre divers fragments de population d’origines diverses, où les va-et-vient des migrants sont essentiels à leur fonctionnement, s’inscrivent dans un territoire plus vaste, le long des parcours balisés par les premiers circulants, par delà les frontières étatiques. En clair, il nous appartient, pour qualifier ce territoire émergent, de “ situer le monde dans le lieu ” et de replacer les centralités nouvelles “ en les tirant du lieu vers le monde ” .
Reflet des interactions sociales et spatiales, comment cet espace circulatoire se constitue-t-il en territoire associant différents pôles urbains de l’espace-monde, en ce sens qu’il fait référence pour tous ceux qui ont établi des liens entre ces espaces ? Ici le rapport homme/territoire s’inscrit dans une “ géographie du mouvement ” qui tente de saisir les articulations entre migrations, métropolisation et nouvelles territorialités à l’oeuvre ; car ce sont ces nouvelles territorialités qui sont problématiques en ce sens qu’elles nous obligent à repenser les marges de la ville qui ne sont plus à la périphérie mais préfigurent de nouvelles centralités qui s’inscrivent dans des territoires réticulaires. Les notions de réseaux et de territoire sont donc essentielles pour saisir la “ mondialité concrète ” des métropoles. Toutefois la notion de territoire, associée aux mobilités, n’est plus seulement entendue au sens classique du terme : il peut être discontinu et englobe l’ensemble des parcours et des réseaux qui se tissent entre territoire de départ et territoire d’accueil. Il est soumis à des transformations rapides dans ses configurations, au gré des échanges, de la circulation de l’information, de l’évolution des réseaux. La notion de “ territoire circulatoire ”, “ productions de mémoires collectives cosmopolites et de pratiques d’échanges sans cesse plus amples ” pend acte de ces nouvelles formes d’appartenance et d’identité dont le territoire concret, “ de l’ordre des sédentarités ”, n’est plus la seule base.
Confrontés au terrain, nous avons dû prendre en compte une donnée essentielle à l’émergence de ces formes territoriales, la dynamique temporelle. Partant de ce qui est visible —l’animation quotidienne et commerciale d’un espace local, les signes extérieurs d’une présence arabe (les enseignes)— l’immersion puis la découverte de trajectoires individuelles originales nous ont conduit à démêler l’invisible en remontant le temps et les parcours.

Étapes et cheminements méthodologiques

Plus que les résultats de nos enquêtes de terrain, l’accent est ici mis sur les étapes de notre recherche et les difficultés propres à notre terrain. Notre première démarche a consisté à localiser la présence maghrébine, Marocains, Algériens, Tunisiens, Libyens, et à établir une typologie des migrants. La clef d’entrée retenue pour aborder les espaces d’accueil des migrants maghrébins nous a incité à focaliser notre attention sur les lieux d’activités commerciales liées aux migrations. Ces espaces ont déjà été identifiés en 1998 par M. Péraldi dans le cadre d’une étude plus vaste sur les “ économies de bazar ” dans les villes méditerranéennes . Cette entrée et le choix d’Istanbul comme première phase de recherche nous a permis de rencontrer tous les types d’acteurs : entrepreneurs, migrants de passage ou “ fourmis ”, intermédiaires qui assurent le relais sur place entre grossistes et ceux de passage. Mais ces compromis et échanges entre tous les “ partenaires ” qui se rejoignent au sein de ce dispositif commercial recèlent des disparités dans le temps et l’espace des trajectoires individuelles, dans l’ordre des contraintes qui les affectent, mais aussi à la lumière des interactions qui se sont produites à des moments-clefs, dans d’autres espaces comme par exemple au Maghreb. Cette complexité à dénouer dans sa dynamique temporelle, à travers les étapes dans les parcours de chacun, nous a engagés vers une méthode relevant de l’ethnométhodologie, nous permettant, tout comme le migrant qui cherche à s’insérer dans un réseau, de s’assurer la confiance de nos interlocuteurs, voire de jouer des rôles d’intermédiaires liés à nos contacts peu à peu diversifiés.
Pour évaluer le flux de migrants qui pénètrent en Turquie, l’officialité des échanges, la démarche statistique a été la première étape. L’évaluation statistique n’a cependant pu s’appuyer sur une base de données fiables ; tout au plus peut-on retenir et confirmer, à travers les chiffres concernant les entrées sur le territoire turc, la position de carrefour d’Istanbul. Les chiffres de la Direction de la Sécurité d’Istanbul révèlent l’importance des flux en termes quantitatifs mais non leur différenciation précise en fonction de la nationalité, ou du type de visa d’entrée. La population maghrébine, au sens large, est estimée à plus de 10 000 résidents officiels, auxquels s’ajoutent 10 000 résidents officieux (sans permis de séjour ni permis de travail). Si ce dernier chiffre nous paraît quelque peu exagéré, celui des entrées, en référence aux visas de “ tourisme ” délivrés annuellement, s’avère être plus précis et plus proche de la réalité observée : 100 000 entrées pour les Algériens, Tunisiens et Libyens confondus. Nous pouvons à présent ajouter que les Algériens sont les plus représentés parmi la population originaire du Maghreb, précédant les Tunisiens puis les Libyens. Deux remarques peuvent être tirées de cette évaluation : d’une part, le comptage des entrées ne distingue pas entre ceux qui entrent pour passer en Europe via des filières clandestines, ceux qui peuvent rejoindre ces filières mais restent à Istanbul, “ en attendant ”, parce que des opportunités de travail se présentent à eux, et ceux qui viennent pour tourisme ou l’associent à des achats revendus au pays (“ les porteurs de valises ”). Le personnel consulaire reste le seul groupe “ majoritaire ” reconnu par les consulats sur place. Les entretiens qui nous ont été accordés permettent de saisir l’officialité des échanges politiques, économiques et culturels entre la Turquie et les pays du Maghreb. Ce caractère officiel a joué un rôle considérable en amont de la chaîne migratoire qui s’est progressivement mise en place : les échanges avec l’Algérie, premier partenaire africain de la Turquie, la présence d’entrepreneurs turcs au Maghreb (notamment dans le secteur de la construction) et surtout en Libye, drainant une main d’oeuvre issue des migrations inter-maghrébines, ont permis des rencontres, des affinités, et une circulation de l’information entre migrants du Maghreb ; les politiques de visas accordés par la Turquie aux ressortissants de ces pays est un autre facteur à prendre en considération, à savoir comment l’évolution des rapports bilatéraux entre la Turquie et les pays du Maghreb sont susceptibles d’infléchir les flux migratoires. D’autre part, et suite aux entretiens que nous avons réalisés, une grande part de ceux qui ont choisi de s’installer entrent dans la catégorie de clandestins dès lors qu’ils n’ont pas trouvé d’employeurs officiels, avec une preuve d’embauche qui ouvre la possibilité d’obtenir un titre de séjour. Certains sont clandestins depuis plus de cinq ans alors que d’autres vont sortir du territoire dès la fin de la date de validité de leur durée de séjour autorisé.
Les données statistiques s’avèrent donc être secondaires pour notre analyse car elles occultent la population clandestine et toutes les activités dites “ informelles ” sans lesquelles le dispositif commercial ne peut fonctionner pleinement. Elles font partie intégrante de ce système migratoire. Les Maghrébins qui entrent à Istanbul, véritable sas migratoire, exclusivement pour intégrer une filière clandestine ont été exclus de nos échantillons de population, mais n’autorisent pas non plus une catégorisation excessive qui établirait une frontière étanche entre ceux qui se sont installés et travaillent à Istanbul et ceux qui ne font que transiter.
La deuxième étape s’intègre dans une analyse systémique et englobe l’ensemble des acteurs impliqués dans ce processus migratoire. L’observation passive tout autant que participante —dès lors qu’un interlocuteur accepte de nous introduire dans la “ communauté ”— devient la source de nouveaux contacts. De contacts en contacts, il nous est permis de dresser une typologie des acteurs (migrants mais aussi sédentaires, autochtones et Maghrébins) et la confiance instaurée nous permet de les suivre dans les transactions commerciales et leurs déplacements quotidiens. L’échelle de la vie quotidienne est riche de sens car c’est dans les lieux du quotidien et dans les pratiques qui rythment le quotidien que se déroulent nombre de négociations, d’interactions avec d’autres populations, et c’est surtout là où la circulation de l’information peut être saisie et replacée dans un contexte plus global. La dimension relationnelle que recèlent ces espaces permet à celui de passage comme à ceux “ raccrochés pour un temps au monde “ sédentaire ” de la ville" , de se tisser un réseau de relations sans cesse élargi, de le diversifier, mais aussi de passer d’un travail à un autre en fonction de ce réseau et du projet migratoire. Les interactions observées ne signifient pas pour autant des métissages mais invitent à une cohabitation créative où chaque fragment diasporique apporte son réseau de relations et ses compétences.
C’est ce qu’illustre à Istanbul, un ensemble urbain ou un réseau de lieux commerciaux que forment le complexe Laleli-Beyazit-Aksaray (dans le vieux Stamboul, sur la rive Sud de la Corne d’Or) entre les arrondissements de Fatih et d’Eminönü, associé à la zone de production-confection de Merter à l’Ouest de la ville, pour ne citer que les plus importants. Les va-et-vient des migrants (“ Russes ”, Maghrébins et Arabes du Moyen-Orient) nourrissent l’économie locale du textile en exploitant les différentiels de richesse entre ici et là-bas. Le “ commerce à la valise ” (bavul ticaret), commerce informel , qui désigne les migrants venus faire des achats à Istanbul dans le but de les revendre au Pays, est une aubaine pour tous, fabricants, grossistes turcs ou du Maghreb, “ fourmis ”, intermédiaires chargés d’influer sur les modes et modèles locaux pour les adapter à chaque clientèle. Ce complexe commercial, qui occupe une position centrale dans la ville, s’est structuré peu à peu par rapport à des moments-clefs, où mobilités internes et mobilités internationales se sont rejoints en ce nœud urbain dans lequel s’impriment leurs complémentarités.
L’approche diachronique met en relation, selon des temporalités propres, les phases de mobilité des Kurdes puis des Arabes du Sud-Est anatolien vers la métropole stambouliote, leur faculté à s’unir et créer de nouveaux marchés, à mettre en valeur leur compétences linguistiques (l’usage de l’arabe) voire des affinités culturelles, pour capter à la fin des années 1970 la clientèle arabe des nouveaux pays riches du Moyen-Orient, de Libye, d’Iran puis celle des Russes et des ressortissants des ex-pays communistes dans les années 1990, jusqu’à s’ouvrir et s’adapter à une clientèle maghrébine. Ces regroupements, loin d’entrer en concurrence, s’organisent en “ collectifs ” et exploitent les complémentarités des compétences et des ressources mobilitaires de chacun.
Cette approche est complétée par la prise en compte des parcours individuels des premiers arrivants, à travers les récits de vie, les passages du nomadisme à des sédentarités temporaires que vient éclairer le projet migratoire du migrant. Les récits que nous avons entendus nous ont conduit à d’autres pôles urbains comme Damas, Paris mais aussi d’autres espaces des villes du Maghreb où nous comptons nous rendre pour prolonger, du passé au présent, les réseaux forgés antérieurement à la formation d’Istanbul comme pôle d’attraction migratoire pour les Maghrébins, puis maintenus actuellement à travers la mise en place d’un territoire circulatoire entre ces pôles. La géographie de ces mouvements nous entraîne donc naturellement vers ces autres lieux, au Maghreb, en Syrie, en France, pour saisir l’autre côté du miroir, les liens entre espaces d’arrivée, de transit, d’accueil, à même d’enrichir notre réflexion et de resserrer notre problématique.

Vers de nouvelles figures de la ville cosmopolite ?

Durant ce séminaire, un certain nombre de notions, tels que “ nouveaux cosmopolitismes ”, ou “ diasporas ” modernes ont suscité des réactions révélatrices de la confusion et de la nécessité de recontextualiser ces termes. Aux diasporas du XIXème siècle, “ politisées, stabilisées ”, A. Medam oppose les “ diasporas flottantes ” , pas encore, voire jamais, stabilisées. Au sein de cette dernière catégorie, les études empiriques permettent d’apporter des nuances en fonction des situations observées. Le miroir qui met en parallèle les ressources qu’offre la métropole stambouliote avec les contraintes, distinctes, des pays de départ différencient davantage les populations circulantes originaires du Maghreb.
A partir d’un même type d’opposition, Jean-François Pérouse fait état d’un “ autre cosmopolitisme ” naissant dans la métropole : la distinction s’opère entre anciennes minorités installées puis assimilées dans la longue durée, et celles qui se sont installées temporairement, avec une plus grande liberté de choix. C’est dans les modes de négociation de l’espace, où la cohabitation repose sur des choix et des initiatives économiques en “ partenariat ” avec d’autres populations, que réside la différence. Pour notre part, nous souhaitons apporter notre contribution à l’analyse de ces figures du cosmopolitisme à partir de situations concrètes, à la suite des travaux engagés sur ce thème.

Devamını oku: Hélène Delos : Géographie du mouvement : Les...

Derya Fırat : Les jeunes issus de l’immigration turque en France : Comment sortir de la vision dualiste ?

En France, les jeunes issus de l’immigration turque constituent un ensemble hétérogène. Ils doivent se positionner dans une situation communautaire complexe et négocier leur identité entre deux séries de normes : celles du pays de leurs parents et celles du pays d’accueil. Partant de leurs “ ressources culturelles ”, ils élaborent donc différentes “ stratégies ” identitaires.
Afin de mieux saisir le cas de ces jeunes, nous présenterons d’abord quelques traits caractéristiques de l’immigration turque et la place occupée par les réseaux de solidarité en situation migratoire. Il nous sera ensuite possible de réfléchir sur des outils méthodologiques et divers points de vue théoriques afin d’affiner nos méthodes de recherche.
Les ressortissants turcs constituent un groupe important : plus de 3 millions de personnes en Europe. Les ouvriers originaires de Turquie ont commencé à émigrer vers la France suite à la saturation du marché du travail en Allemagne, en 1962 . En 1966, la France a conclu un accord de recrutement avec la Turquie. Malgré des mesures sur l’arrêt des migrations de Turquie vers l’Europe (1973 en Allemagne et 1974 en France ), la tendance s’est orientée vers une installation définitive . L’immigration s’est poursuivie par le biais du regroupement familial et des demandes d’asile politique . Elle continue actuellement avec les mariages : “ Les jeunes se marient bien souvent avec un conjoint turc anatolien, lors des congés, occasionnant des regroupements en chaîne ” . Au début des années 1980, les Etats de la CEE ont promulgué des lois d’encouragement au retour définitif des ouvriers en Turquie. Cependant, cette aide financière n’a pas davantage motivé les immigrés. Le projet de retour est toujours présent dans l’esprit des immigrés turcs, mais sous une forme “ mythique ” ou “ utopique ”, dans l’attente de la retraite ou de la fin du désordre politique et économique en Turquie . Les retours en Turquie sont généralement provisoires et/ou ne concernent que quelques membres de la famille. La vague migratoire de Turquie vers la France a ainsi généré une présence turque assez dense : on compte aujourd’hui à peu près 300 000 immigrés originaires de Turquie en France.
Migrer pour améliorer sa situation économique ou pour des raisons politiques n’a rien d’exceptionnel. Cependant les immigrés turcs présentent des traits spécifiques par rapport à d’autres populations immigrées en France. Il faut souligner toutefois, que ces traits ne sont pas seuls représentatifs des critères de l’intégration de cette population à la société française.
Les immigrés originaires de Turquie constituent un cas assez particulier : comme les Maghrébins, ils sont majoritairement musulmans, mais n’ont pas de liens historiques avec la France. La Turquie n’a jamais été colonisée et fut, au contraire, avec l’Empire ottoman, une puissance mondiale. De cette absence de lien historique avec la France, découle une connaissance réciproque assez superficielle. En outre, selon Dominique Schnapper, les immigrés originaires de Turquie “ gardent le souvenir intériorisé, même s’il est informulé, de la gloire de l’Empire ” et créent ainsi une identité ethnique qui se différencie des “ autres ” immigrés musulmans en France, en élaborant un discours cohérent sur la supériorité de leur culture, leur fierté nationale, et leur fierté ethnique. Il est vrai qu’un lien historique comme le passé colonial est un facteur non négligeable pour comprendre le sens que les individus donnent à leurs parcours, leur perception de soi et de l’autre. Toutefois il semble que la spécificité de l’immigration turque demande d’autres explications.
Un autre point qui mérite d’être souligné est l’hétérogénéité de cette population du point de vue de l’appartenance religieuse et ethnique. Selon leur origine ethnique et géographique les immigrés ressortissants de Turquie manifestent leur différence par leurs origines religieuses (musulmans et chrétiens) et leur obédience à telle ou telle école juridique religieuse (mezhep). Il faut noter que la plupart des recherches sociologiques sur l’immigration turque constatent une hétérogénéité au sein de la population immigrée, mais la prennent rarement en considération dans leurs explications sociologiques.
Chez les immigrés musulmans, le caractère hétérogène des obédiences (sunnisme, alévisme et autres ordres) montre la pluralité de l'Islam turc. Cette diversité, qui a donné naissance à un Islam libéral -avant même la proclamation de la République- rend discutables les interprétations qui font de l'Islam une entité unique et homogène. Il faut souligner que les Turcs ont été convertis à l’Islam tout en gardant leur langue et en conservant leurs pratiques matrimoniales antérieures à l’Islam. De plus, la Turquie est un pays qui vit un processus de modernisation depuis le XIXe siècle . Avec la fondation de la République (1923), on assiste à l’application par les élites kémalistes d’une série de réformes visant à transformer et à moderniser la société turque . La méconnaissance de “ l’Islam turc ” amène certains chercheurs travaillant sur l’immigration turque en France, soit à poser des questions dénuées de sens, soit à formuler des interprétations discutables .
Enfin, cette immigration de main-d’œuvre non qualifiée a les caractéristiques d’une migration en chaîne. Malgré les recrutements anonymes organisés par les pays d’accueil et la Turquie, l’enchaînement de migrations vers l’Europe se réalise à travers les réseaux de solidarité régionale de la communauté de départ. Marcel Bazin affirme que “ l’immigration turque vers l’Europe commence par le départ temporaire d’hommes jeunes en quête de travail, qui font ensuite venir leur famille en cas de succès ; elle s’appuie sur des réseaux de solidarité familiale et locale (hemserilik : le fait d’être “ voisins ”, de venir sinon du même village, du moins d’une même micro-région) ; elle aboutit donc à des phénomènes de ségrégations marquées en fonction de l’origine géographique et éventuellement ethnique ” . Aujourd’hui la communauté immigrée originaire de Turquie en Europe a pris une dimension transnationale grâce à ces réseaux de solidarité familiale et locale .
Le présent travail consiste en une mise au point méthodologique et conceptuelle d’une recherche menée auprès de “ jeunes issus de l’immigration ” qui font leurs études supérieures en Ile-de-France . Il ne s’agit pas de présenter les données d’une recherche inachevée, mais plutôt d’articuler une réflexion sur les outils méthodologiques et les points de vue théoriques afin d’affiner les méthodes de recherche sur les jeunes issus de l’immigration.
L'existence des réseaux de solidarité familiale et locale (hemserilik) est un fait pertinent concernant la population originaire de Turquie. Les recherches montrent “ le caractère primordial des réseaux de parenté (akrabalik) dans la réussite du projet migratoire, dans les pratiques matrimoniales, pour l’accès à l’emploi, les investissements ” . Les immigrés obtiennent le plus souvent leurs postes de travail et leurs lieux d’hébergement à l’aide des réseaux de solidarité ; ainsi, ils ne se trouvent pas déracinés et solitaires dans les pays d’accueil même s’ils sont venus par recrutement anonyme. De plus, ces réseaux sont connectés aux réseaux idéologiques (politiques ou politico-religieux) existant dans le champ migratoire . Selon Hamit Bozarslan, “ l’absence de l’Etat et l’arrivée massive des familles dont les besoins étaient multiples, amena des forces, qui, à l’époque du moins, étaient marginales sur la scène politique turque à investir le domaine de l’émigration. Elles purent ainsi, dans de nombreux cas, occuper la position d’interlocuteurs entre émigrés et société d’accueil, proposer des solutions à la quête identitaire en surchargeant le domaine symbolique, en proposant de résoudre la crise par l’identification à une idée, proposée à la fois comme normative dans l’immigration, porteuse donc de régularité et d’un sens quotidien, et comme seule susceptible de garantir le lien avec le pays d’origine. ”
Il faut noter que ces réseaux de solidarité régionale ont des effets semblables dans la migration vers la France et dans la migration interne à la Turquie (exode rural). Dans ce dernier cas, les sociologues soulignent qu’il y a souvent quelques familles qui jouent le rôle d’avant-garde et que les autres familles d’une même origine régionale les suivent dans la trajectoire de la migration . Ces migrations en chaîne ont constitué, à partir des communautés de départ, de nouveaux réseaux de solidarité régionale (hemserilik) au sein des grandes villes .
Mübeccel Kiray explique ces réseaux de solidarité comme étant un outil d’adaptation de la société paysanne pré-industrielle à la société urbaine industrialisée et fortement spécialisée ; le passage d’une société fondée sur la solidarité mécanique caractérisée par des relations intimes et primaires, à une société fondée sur la solidarité organique, caractérisée par des relations anonymes . Elle soutient que ces réseaux de solidarité sont une conséquence historique d’un système pré-industriel : “ le patronage ”. La première forme de patronage est le soutien parental organisé autour de la personne qui tient le rôle de guide, le plus souvent l’homme le plus âgé de la communauté, qui se charge de résoudre les problèmes comme ceux liés au travail, au mariage, au logement, etc. Les réseaux de solidarité de la communauté sont une autre forme plus développée de ce patronage, qui permettent de trouver un travail, un logement, etc. Il faut souligner qu’en Turquie les réseaux de solidarité aident aussi à résoudre les problèmes soulevés par la relation entre l’individu et l’Etat, et pallie au manque de savoir-faire des émigrés dans leurs relations avec les services publics.
Ces réseaux de solidarité sont partie intégrante de la migration comme de la structure sociale communautaire en Turquie. Cependant, il est moins évident de considérer les immigrés ou les jeunes issus de l’immigration turque comme une population qui redéfinit “ ses identités continuellement en fonction des contextes et des opportunités offertes par les différents réseaux sur lesquels repose l’expérience migratoire ” .
Les recherches que nous avons menées auprès des jeunes issus de l’immigration turque en Ile-de-France ont fait apparaître le rôle important des réseaux dans l’élaboration des différentes stratégies identitaires. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces réseaux contribuent aussi à la conservation des valeurs du groupe et à l’entretien du contrôle de la communauté. Dans ce type de situation, le contrôle social de la communauté peut être très coercitif surtout vis-à-vis des femmes et des jeunes filles qui représentent l’honneur de la communauté.
Le code de l’honneur et le système de parenté constituent par ailleurs des piliers de la structure sociale communautaire en Turquie et dans la migration. Selon Nukhet Sirman, “ l’identité dans la parenté turque ” est liée au code de l’honneur : “ Pour les hommes et les femmes, l’identité sociale dépend de leurs qualités en tant que personnes morales, c’est-à-dire de leur honneur, code en fonction duquel ils agissent, et selon lequel leur comportement est interprété. L’honneur appartient aux personnes, aux maisons et aux communautés. Le code d’honneur différencie les personnes en fonction de l’âge et du sexe, en les plaçant dans une relation particulière d’autorité et de soumission dans la maison et entre parents et dans une situation de compétition agressive avec ceux qui appartiennent à d’autres maisons ” .
Ainsi, on peut “ faire du migrant un acteur et envisager la migration comme ressource et stratégie ” pourtant il est plus difficile de dire que cet acteur est “ toujours conscient de ce qu’il est et de ce qui le détermine ” . Selon Alain Moreau, “ une telle position ne peut être tenue à l’extrême, à moins de faire fi des apports de la théorie psychanalytique ” . De plus, il semble que les immigrés ou les jeunes issus de l’immigration ne sont pas des acteurs aussi libres dans leur interaction avec le social. D’une part, les réseaux familiaux, religieux, politiques, géographiques (villageois ou régionaux) et économiques, ne sont pas seulement mis en œuvre par les immigrés ; ils demandent aussi une certaine allégeance et appartenance. D’autre part, “ les individus, pas plus que les groupes, ne sont libres d’affirmer unilatéralement cette identité. Dans cette interaction avec le social (…) ils ont affaire à des conduites par lesquelles autrui leur attribue lui-même des caractères en même temps que des valeur” .
Selon Selim Abou, les jeunes issus de l’immigration, “ partagés dès l’enfance entre l’école et la maison, la société d’accueil et le groupe ethnique, sont acculés à intérioriser les deux codes culturels en présence et le conflit qui résulte de leur rencontre ” . Sur le terrain, il y a des jeunes qui parviennent à concilier les deux séries de normes (celle du pays d’origine des parents et celle du pays d’accueil), c’est-à-dire qu’ils sont capables de jouer avec deux systèmes de référence en fonction des situations. D’autres jeunes, au contraire, n’arrivent pas à concilier les deux, et d’autres encore le peuvent uniquement dans un contexte défini. Il n’est donc pas possible d’élaborer des interprétations générales. Les jeunes issus de l’immigration “ ne se débarrassent pas des modèles de penser et de sentir de leur culture d’origine pour adopter tels quels ceux de la culture du pays d’accueil. Le passage de l’une à l’autre n’est ni direct ni immédiat ” .
Quant au mariage, moment crucial pour les immigrés turcs, les attitudes des jeunes peuvent être diversement interprétées. Le mariage immigré apparaît bien souvent comme un instrument de maintien du lien avec la Turquie et de résistance à la dégradation des valeurs traditionnelles d’origine : “ la prépondérance du pays d’origine dans les choix matrimoniaux est de nature à perpétuer la communauté en lui injectant sans cesse du ‘sang frais’ et à enrayer les effets de l’intégration lorsque celle-ci risque d’échapper au contrôle de la première génération ” . Par ailleurs, le mariage semble aujourd’hui le seul moyen sûr de faire venir un membre de la famille en France.
Les recherches que nous avons menées font apparaître que, dans la plupart des cas, les jeunes -afin de concilier l’impératif communautaire du mariage arrangé et d’exprimer leur propre volonté- essayent de trouver leurs futurs conjoints eux-mêmes, au sein de la communauté originaire de Turquie en France. Ce sont surtout les filles qui déclarent préférer choisir leur futur conjoint au sein l’immigration turque en France plutôt qu’en Turquie. Dans l’ensemble, filles et garçons admettent l’importance, pour eux comme pour leur famille, de l’origine de leur futur conjoint.
D’autres recherches mettent en évidence des stratégies de conciliation avec cet impératif communautaire chez les jeunes : “ Les filles savent très tôt qu’elles devront se plier au choix de leurs parents, même si les dissensions entre eux permettent des négociations. Elles trouvent toutefois certaines compensations : en faisant de nécessité vertu, elles se donnent pour la suite les moyens de s’imposer. La procédure de regroupement leur permet d’entrer dans la vie professionnelle, et donc d’acquérir une plus grande marge de liberté, notamment financière. Quand le mari arrive, il ignore la langue et les lieux et dépend de sa femme, qui, elle, au contraire, est sans beaux-parents et libérée de l’autorité de son père ” .
Nous ne nous arrêterons pas sur les limites de la liberté de la fille ou sur la position occupée par le mari , ni sur une telle absence du code d’honneur ou sur le type même de ce mariage. Ces exemples ne prouvent certes pas l’absence d’un impératif communautaire concernant le mariage, mais ils illustrent les tentatives de conciliation avec cet impératif. Toutefois, il semble que les différentes manières de négociations restent individuelles ; l’approche sociologique doit donc être plus minutieuse.
En rupture avec l’ancien point de vue qui “ tend à faire des migrations la résultante quasi mécanique d’une contrainte (…) à laquelle le candidat-migrant serait irrépressiblement soumis ” , les discussions et débats contemporains proposent une image de l’immigré comme un acteur agissant librement et visant toujours ses intérêts individuels sans prendre en compte ses appartenances communautaires, une image des jeunes issus de l’immigration parfaitement capables de jouer avec les deux cultures et de se réaliser librement en dehors des pressions communautaires.
Après l’utopie de “ l’Homme nouveau ”, remarque Pierre André Taguieff, “ surgit donc celle de ‘l’Homme mobile’, l’utopie de l’individu sans héritages ni appartenances, sans mémoire et sans histoire, mais ultra-mobile, hyper-malléable et indéfiniment adaptable. Il est sans famille, sans ascendance ni descendance, il n’est que responsable que de lui-même, de sa vitesse et de sa flexibilité. Il n’a d’identité que provisoire, éphémère ; il rêve même d’en changer comme le chemise. Il s’idéalise, dans le discours publicitaire contemporain, en ‘nomade’ et en ‘métisse’, il se célèbre comme un ‘hybride’ toujours ‘en mouvement’ ” .
Ainsi, il faut d’abord tenir compte de l’hétérogénéité des jeunes issus de l'immigration turque et sortir de la vision dualiste qui considère ces jeunes, soit comme des personnes soumises à la pression communautaire, soit comme des individus ultra-mobiles, indéfiniment adaptables et capables de faire une synthèse parfaite de deux cultures.
L’objet sociologique que constituent “ les jeunes issus de l’immigration ” appelle donc à une analyse plus profonde en s’appuyant sur une recherche de terrain s’articulant autours de diverses variables : âge, sexe, âge d’arrivée en France, origine ethnique, origine religieuse, trajectoire familiale, trajectoire scolaire et réseaux de solidarité qui sont mis en œuvre pendant l’expérience migratoire des parents. Ce n’est qu’autour de telles études de terrain qu’il nous semble possible de produire une réflexion objective et pertinente à propos des jeunes issus de l’immigration turque.

Devamını oku: Derya Fırat : Les jeunes issus de l’immigration...

Élise Massicard : Constructions identitaires territoires et réseaux : le cas des alévis de Turquie

La problématique principale de ma recherche concerne la construction d'une identité collective alévie en Turquie et dans la migration turque en Europe depuis la fin des années 1980. La littérature théorique concernant les identités collectives est surtout consacrée au phénomène du nationalisme. Cependant, les études sur le nationalisme sont, dans une certaine mesure, généralisables aux processus de construction d'autres identités collectives, infranationales ou supranationales. Ce n'est que relativement récemment que le rôle de la distance et de la mobilité dans les phénomènes de construction d'identités collectives ont été soulignés. Ainsi, en 1983, Benedict Anderson met en évidence le fait que le sentiment national doit beaucoup à l'espace-temps créé par l'imprimé (la presse surtout) et à ce qu'il appelle la "sérialisation" (des statues aux cimetières militaires en passant par le recensement des populations) ; en outre, il se penche sur le rôle de "ceux de l'extérieur" ou de "ceux de la périphérie" dans l'apparition et l'articulation du nationalisme, approche qu'il approfondit dans un ouvrage plus récent avec la notion de "nationalisme à distance", par laquelle il souligne le rôle de l'exil (physique ou intérieur) dans la genèse du nationalisme .
Dans cette perspective, nous travaillons sur l'hypothèse selon laquelle la territorialité, la mobilité et leurs recompositions sont centrales pour l'étude des phénomènes de construction identitaire. En ce qui concerne la question alévie, cette dimension semble d'autant plus incontournable que la mobilité est au cœur de la société alévie contemporaine. En effet, les dernières décennies ont marqué pour la société turque en général un bouleversement spatial et social. Or, l'exode rural entamé dans les années 1950 a touché la société alévie de manière disproportionnée, qui était jusque-là en grande majorité confinée dans des communautés rurales. Cet exode rural massif a entraîné une différenciation sociale rapide et la dissolution des communautés sur plusieurs espaces, dans une continuité village - bourg le plus proche - chef-lieu - métropole - étranger. Depuis lors, on assiste à une circulation importante entre ces différents espaces, dans la mesure où, comme dans la société turque en général, les migrations ne sont pas unidirectionnelles ni définitives. La notion de territoire circulatoire, territoire à la fois social et spatial qui fait sens pour les migrants et fait fi des frontières nationales, semble ici particulièrement pertinente. Or, cette dimension territoriale et migratoire est très peu intégrée dans les recherches concernant l'alévisme, qui oscillent entre monographies de village , études "orientalistes" sur la nature de l'alévisme comme système de croyance , et analyses du mouvement identitaire alévi dans ses dimensions discursives (par exemple, reconstructions de l'histoire alévie ) – ces deux derniers phénomènes étant accentués par les représentations essentialistes et a-historiques dont se nourrit le mouvement identitaire alévi contemporain. Pour réaliser un travail sociologique, il est donc impératif de rendre compte des pratiques et des constructions identitaires dans leurs dimensions sociales, et notamment de leur aspect spatial, territorial. Il s'agira d'étudier le rôle du territoire dans les constructions identitaires, c'est-à-dire de comprendre dans quelle mesure les constructions identitaires se concrétisent différemment sur différents espaces, et pourquoi.

L'approche par un territoire d'origine

Pour réintroduire la dimension spatiale dans cette problématique générale, j'ai tout d'abord choisi de travailler plus spécifiquement sur une région donnée et sur ses migrants, ce qui permet de reconstituer les trajectoires socio-spatiales (individuelles et familiales), ainsi que leur arrière-plan sociologique, dans le but de croiser parcours migratoires et trajectoires identitaires. Plusieurs critères ont guidé le choix de la région de Sivas (la seconde province de Turquie par sa taille, située à environ 500 km à l'est d'Ankara) : tout d'abord, il s'agit d'une région à peuplement mixte alévi-sunnite, mais aussi turc-kurde, où des constructions identitaires diverses ont vu le jour. En outre, il s'agit d'une province très politisée, investie de sens jusqu'au niveau national et utilisée comme symbole et référence par différents discours politiques et identitaires nationaux. Enfin, Sivas est une région qui a généré beaucoup de migrations, à la fois dans les métropoles turques et en Europe .
Intégrer la dimension spatiale à une approche en termes de construction identitaire permet en premier lieu de prendre la mesure de la structuration socio-spatiale du réseau migratoire. En effet, la migration de Sivas, que ce soit vers les métropoles ou vers l'étranger, est constituée en très grande partie de migration en chaîne (qui n'est pas structurée partout de la même manière), qui a commencé dans les années 1950 et continue jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit, en outre, d'une migration spontanée, qui n'est organisée ni par l'Etat, ni par le marché, d'où l'importance, dans la mobilité, de structures sociales comme la famille. Les réseaux sociaux (notamment familiaux et villageois) forment ainsi à la fois des vecteurs et des supports de la migration et de la mobilité . Nombre de ces groupes montrent une capacité certaine à fonctionner en réseau et à se perpétuer dans le temps tout en se dispersant dans l'espace. Ces groupes "infra-communautaires" (on ne peut pas parler, à ce niveau, d'un seul groupe alévi, mais plutôt d'une multiplicité de sous-groupes), forment pourtant le support des constructions identitaires.

L'approche par les acteurs

Ainsi, les formes de migration semblent structurer la constellation spatiale des migrants. Cependant, elles sont aussi structurées par les usages qu'en font les acteurs, notamment dans une perspective de construction identitaire. C'est là qu'intervient une seconde concrétisation méthodologique permettant de croiser une analyse des constructions identitaires et des recompositions territoriales : une approche par les acteurs. En effet, une approche en termes de construction d'identités collectives implique le repérage des acteurs privilégiés de ces constructions, des ressources qu'ils mobilisent, des stratégies qu'ils développent. Cette approche par les acteurs doit rendre compte, en l'occurrence, de la construction de stratégies sur plusieurs lieux. Dans cette perspective, un différentiel entre plusieurs lieux peut être utilisé comme atout, et ce, non seulement du point de vue économique (le fameux dicton afghan “ les contrebandiers ont besoin de frontières ”), mais aussi pour des stratégies ou des mobilisations politiques, religieuses ou identitaires. Cette conception de la territorialité et la mobilité comme ressource, qui correspond à une approche d’individualisme méthodologique, passe par la reconstitution de parcours migratoires individuels et leur mise en relation avec les trajectoires identitaires. Un exemple nous permettra d'illustrer notre propos :
Hüseyin K. est né dans un village du nord de Sivas. Il descend d’un lignage de dignitaires religieux alévis, nommés dede – une charge héréditaire qui consistait, traditionnellement, à rendre visite à ses talip (laïcs rattachés par descendance) dans divers villages, y tenir des cérémonies religieuses, y régler les conflits et à entretenir et transmettre à ses descendants le monopole du savoir religieux. Hüseyin K. a parfois suivi son père dans ses pérégrinations de village en village, où il a acquis les rudiments du savoir alévi. Il n’a jamais lui-même dirigé de cérémonie. Mais il se considère également comme le descendant direct du saint fondateur de ce lignage – l’un des plus étendus et rayonnants d’Anatolie - ce qui devrait lui conférer divers avantages symboliques, dont le plus visible est la garde du mausolée du saint. Or, il y a de cela quelques générations, la charge a été "usurpée" par une branche rivale de la famille, qui s’est "arrogée" le prestige, la garde du mausolée et, partant, le bénéfice des sacrifices que l’on y apporte des quatre coins d’Anatolie.
Hüseyin K. est parti à Istanbul à neuf ans. Il a ciré des chaussures et vendu des allumettes dans la rue pour soutenir ses parents qui ne pouvaient porter la charge de cinq enfants. Au bout de quelques années d’école, il fait une formation en comptabilité et décroche vite un premier contrat. Puis, son frère aîné monte une entreprise de vente et l’emploie comme commis. Hüseyin K. profite de son expérience professionnelle et des contacts qu’elle lui permet de nouer pour créer des relations de confiance. Bientôt, il est embauché comme chef comptable dans une coopérative privée d’habitation où il gagne très bien sa vie. Il quitte alors, malgré les protestations de sa famille regroupée là, le gecekondu où il avait passé quinze ans et s’installe dans une coopérative privée très chic non loin des bords du Bosphore. Peu après, il y sera élu au conseil d’administration et embauché comme comptable. Il évolue alors dans un milieu très aisé qu’il apprend vite à connaître. Pour parfaire son éducation, il commence par correspondance les études d’économie qu’il n’a jamais pu faire. Rares sont les personnes qui, parties de rien ou si peu, cumulent deux emplois et de nombreuses responsabilités professionnelles et sociales, et cela à 30 ans… Charges qui lui valent de devenir le recours pour toute sa famille, et même au-delà, pour trouver un emploi ou résoudre des problèmes en tout genre.
Or, Hüseyin K. n’est pas seulement un jeune cadre dynamique : il s’engage également dans des activités sociales et politiques. Tout d’abord dans sa résidence, où il tente d’empêcher la construction d’une mosquée en dirigeant un camp laïc à l'intérieur du conseil d'administration... ce qui lui vaudra des menaces de mort régulières des activistes du MHP . Mais Hüseyin K. est également actif dans un gecekondu d’Istanbul, où est regroupée la moitié de son village et où il s'engage dans l’association alévie (qui regroupe surtout les villages et familles liées à son lignage) jusqu’à la diriger aujourd’hui, non sans quelques conflits politiques dans ce quartier à l’atmosphère très tendue. Il y est apprécié notamment parce qu'il “ sait parler aux jeunes ” et ne ressemble pas aux dirigeants traditionnels, "paternalistes" et "autoritaires". Il a des projets originaux, veut, par exemple, installer dans l’association un petit musée où on rassemblera les objets champêtres aujourd’hui disparus, pour “ recréer l’atmosphère authentique du village ”. Ainsi, il s’intéresse à son passé et à ce lignage mystérieux dont il ne reste de traces écrites que dans quelques ferman ottomans… ou presque : récemment, l’un des membres de la branche rivale de la famille, avec l’aide de l’association de village qu’elle contrôle, a écrit un livre sur l’histoire et les mérites du lignage – tout en y affirmant sa descendance légitime - et s’est empressé de le mettre sur internet. C’en était trop pour Hüseyin K. : il décide de se mettre à la recherche de ses origines pour rétablir la "vérité". Il fait tout d’abord modifier son nom de famille - trop commun - en “ fils de ” pour affirmer sa descendance du fils aîné, donc légitime, du saint… auquel il fait ériger à ses frais un mausolée au village. Les partisans de sa branche commencent à porter leurs sacrifices à ce mausolée flambant neuf. Dès lors, Hüseyin K. passe ses week-ends et ses vacances entre archives ottomanes stambouliotes et la recherche de dedes et d'anciens à bonne mémoire dans les villages rattachés à son lignage. Il va bientôt terminer son livre, qui démontre l’insuffisance et la partialité de l'ouvrage rival et rétablit la "vérité", preuves à l'appui. Son site internet est déjà prêt à l’accueillir.
Mais la bataille est inégale : le dirigeant du clan rival, installé depuis une vingtaine d'années en Allemagne, y est maître de conférences à l’université, ce qui lui donne une certaine aura scientifique. Il est actif et reconnu dans la Fédération alévie d’Europe… à tel point qu’il fait partie des deux candidats importés d’Allemagne par le Baris Partisi, parti "de la paix", à connotation alévie, pour les élections de 1999, et est l’un de ceux qui a fait les meilleurs scores – il s’agit en effet d’une autorité dans la région, car tous ceux qui ont oublié "l’usurpation" le respectent – sans que ceux-ci atteignent toutefois les espérances du parti. Hüseyin K. pense aussi à faire de la politique, dès qu’il aura plus de temps, mais ne sait pas exactement dans quel parti s’engager.
Cette trajectoire construite sur plusieurs lieux témoigne d’investissements croisés : diverses ressources (descendance, savoir – sous ses différentes formes, argent, politique, notoriété etc.) sont accumulées, puis réinvesties dans une géographie qui lie le village, la région (définie électoralement, d’une part ; par les personnes liées à ce lignage, d’autre part - les deux ne se recoupant pas), deux gecekondu d’Istanbul, deux coopératives privées huppées, et une ville d'Europe. Les investissements dans le quartier et le village témoignent, en tout état de cause, de l’utilisation de ressources liées au local : "authenticité", ancrage, interconnaissance. Mais le local ne prend un sens plus large que dans la mesure où il est articulé à d’autres espaces qui offrent des dividendes plus importants et des ressources différentes (articulation à des discours politiques, ouverture sur l’Etat par le processus électoral pour le niveau national ; ressources financières, prestige, caution “ d’universalité ” et de “ modernisme ” pour l’Europe). C’est la conversion entre diverses ressources et différents lieux qui fait la force des stratégies et la centralité des médiateurs.

Territoires et réseaux sociaux entre contrainte et ressource identitaire

Dans cette perspective, le lieu peut être conçu comme champ de possibilités en éventuelle relation avec d’autres. La mise en réseau de différents lieux par les acteurs et le recyclage de ressources d’un espace à un autre peuvent alors être considérés comme stratégies. Ce qui compte n'est pas seulement la mobilité physique d'un entrepreneur, mais aussi, et peut-être surtout, sa possibilité de partir, ainsi que sa capacité à faire intervenir plusieurs territoires dans des stratégies. À partir de trajectoires d’entrepreneurs politiques ou identitaires, on peut éclaircir les utilisations de territoires, les relations différentielles entretenues avec eux, et les mises en relation de lieux.
Néanmoins, une telle approche montre des limites. Tout d'abord, si chaque lieu est porteur de ressources propres, il s'accompagne également de contraintes spécifiques. Les acteurs et les groupes disposent des ressources des espaces traversés ou investis, mais sont également soumis à leurs contraintes et limites inhérentes, qui influent à leur tour sur leurs stratégies : s'engager au village ou même au gecekondu nécessite de respecter une certaine éthique, des normes comportementales précises, qui pourront à leur tour être mal perçues dans d'autres contextes et limiter l'éventail des lieux susceptibles d'être investis. Pour cerner la perception des différences d'opportunités liées au contexte, ainsi que leur rôle dans les choix des acteurs, on peut utiliser le concept de "structure d’opportunité". Ce concept part de l'idée que l'action collective ne peut réussir que dans certaines conditions, et définit les conditions favorables ou non pour le succès des mouvements sociaux . À cela, il faut ajouter une seconde limite de cette approche : les ressources d’un espace ne sont pas forcément transposables ou convertibles dans d’autres lieux, ou seulement “ au rabais ”, comme le montre le relatif échec électoral du concurrent d'Hüseyin K .
Dans ces conditions, comment évaluer la part de contrainte et la part de ressource que représentent les territoires et les mobilités pour de telles stratégies identitaires ? On peut avancer que les formes de migration - comme la migration en chaîne - structurent les formes de mobilité (ses lieux privilégiés, ses rythmes) et, a fortiori, les structures d’opportunité liées à ces lieux (comme les ressources spécifiques liées au village, au bourg le plus proche, au gecekondu, à la ville européenne). Les formes de migration influencent également les stratégies identitaires, qui seront différentes selon si un groupe est dispersé dans l'espace et socialement, si les structures d’autorité se maintiennent ou se recomposent. Peut-on faire une typologie qui permettrait de mieux saisir comment les formes de migration structurent les ressources pour les stratégies identitaires ? Dans une telle typologie, le facteur temporel de la structuration des migrations est important : une migration subite et massive ne façonne pas les structures de mobilité et d'opportunité de la même manière qu'une migration continue, qui permet d'entretenir les relations durables entre le lieu d'origine et les points de chute. Cependant, les formes de migration ne déterminent pas les structures d'opportunités ni les stratégies identitaires. Les acteurs peuvent à leur tour élargir et recomposer l'éventail de lieux et de ressources formé par la migration initiale. C'est ce que fait Hüseyin K. lorsqu'il déménage dans une résidence huppée et y poursuit son engagement social à travers le conseil d'administration, l'articulant ainsi à des discours politiques nationaux et gagnant des dividendes financiers qu'il réinvestit ailleurs, par exemple au village.
Les réseaux sociaux mis en œuvre par ces migrations se trouvent également dans une dialectique entre ressource et contrainte pour ces constructions identitaires. En effet, les réseaux peuvent tout à la fois leur tenir lieu de contrainte (vecteur de mobilité qui influence fortement les lieux et les formes de migration ; contrôle social ; répertoire de rôles préexistants) et de ressource (réservoir de relations, possibilité de les densifier). Dès lors, la question pertinente est celle de l'utilisation et de la mise en relation de ces réseaux par les acteurs. Il semble que les réseaux restent centraux au-delà de la première période de migration, où ils sont utilisés pour la recherche de logement et d'emploi. En effet, ils se recomposent à la faveur des opportunités et des territoires investis . En outre, on assiste à des stratégies familiales de points de chute à moyen terme et à une diversification des utilisations des réseaux par les acteurs (stratégies d'investissement, entreprises créées en commun, occupation collective de créneaux professionnels, stratégies identitaires ou politiques) (Günes-Ayata 1990). À cet égard, si la mobilité s'appuie sur ces réseaux sociaux, elle peut également être le moyen de les élargir et d'intégrer de nouveaux acteurs, comme le montre encore une fois la trajectoire d'Hüseyin K.
Il est souvent difficile de distinguer réseaux familiaux, politico-religieux et communautaires, car ces derniers s'entrecroisent et s'interpénètrent à la faveur d'entrepreneurs qui les mettent en relation et tentent de les densifier ou de diversifier leurs registres. Ainsi, dans le quartier de gecekondu où est actif Hüseyin K., l'association alévie à vocation identitaire a été créée par les directeurs d'une vingtaine d'associations de villages, tous de la même région et reliés à un même lignage sacré. Peu après, cette association est reliée à une fédération alévie nationale, pour des motifs principalement financiers. Les réseaux villageois et infra-communautaires préexistants s'articulent dès lors sur un discours national, s'élargissent à des acteurs nouveaux, et s'enrichissent d'une composante identitaire, registre sur lequel, dès lors, les acteurs peuvent jouer, mais qu'ils ne peuvent pas ignorer.
Il semble ici pertinent de problématiser les constellations changeantes, les différentes échelles (famille nucléaire, famille étendue, village, tribu, mais aussi liens "faibles" comme les collègues de travail…), leur(s) articulation(s) et le(s) registre(s) mobilisé(s). Quelle est la marge de manœuvre des acteurs dans ces recompositions pour des stratégies identitaires ? Comment émergent des entrepreneurs de réseaux, et comment deviennent-ils centraux ? On peut à cet égard distinguer plusieurs facteurs, comme l'amplitude, la densité, la proximité, ou encore la multiplicité des réseaux mis en œuvre.
Faut-il pour autant opposer territoires et réseaux ? Certes, les réseaux sont dans une certaine mesure "déterritorialisés" (Badie 1995). Cependant, les réseaux mêmes font dans une certaine mesure territoire, et les espaces traversés peuvent être appropriés : on connaît la route, ponctuée de points de chute obligatoires ; des migrants d'Europe passant leurs vacances en Turquie, revenant du village pour prendre l'avion à Istanbul, s'arrêteront chez leurs parents à Ankara et parleront non seulement des nouveautés familiales, mais souvent aussi de la situation politique et "identitaire". En outre, les allées et venues peuvent même représenter une importante ressource identitaire, comme on le constate dans le cas d'Hüseyin K. qui passe le plus clair de son temps au volant de sa voiture. Surtout, à côté de ces liens "horizontaux", réticulaires, se constituent aussi des liens "verticaux" au territoire, avec des phénomènes d'appropriation de l'espace, de création de repères symboliques et identitaires, produisant ainsi des constellations en archipel.
Les constructions identitaires s'inscrivent largement dans ce cadre, dans des contextes sociaux et relationnels donnés. La trajectoire d'Hüseyin K. montre qu'il est difficile de penser les stratégies identitaires en-dehors de réseaux mobilisés, investis ou reconvertis, fonctionnant comme supports et ressources - même si elles n'y sont pas réductibles-. Ainsi, nombre de mobilisations qui semblent, au premier abord, purement identitaires s'appuient sur des réseaux sociaux. Par exemple, lors des émeutes "alévies" du quartier de Gazi à Istanbul en mars 1995, des groupes d'autres quartiers périphériques comme Ümraniye ou Okmeydani viennent très vite en renfort, probablement mobilisés dans un premier temps par des réseaux familiaux, villageois, politiques ou d'interconnaissance, plus que par un réflexe "identitaire". Il semble que l'identitaire ne soit ici qu'une ressource parmi d'autres, mise en relation avec d'autres ressources par des acteurs, notamment à la faveur de réseaux préexistants, élargis, voire créés. Cette analyse en termes d'utilisations différentielles des territoires et des réseaux, dialectique entre contrainte et ressource, ouvre la perspective théorique de la fluidité de la vie sociale.

Territoire et constructions identitaires : contexte, ressource et référence

Quel est, dès lors, le rôle du territoire dans les constructions identitaires ? Le territoire oscille entre contexte d'action, ressource et référence dans les stratégies identitaires. Contexte d'action, lorsque l'on fait jouer le registre identitaire pour une mobilisation électorale dans une circonscription donnée, comme ce fut le cas du rival d'Hüseyin K. aux élections de 1999. Ressource, lorsqu'il s'agit d'utiliser les ressources propres à un territoire donné, comme l'ancrage, l'interconnaissance ou "l'authenticité". Enfin, le référentiel territorial peut lui-même devenir identitaire. Par exemple, la métonymie "Sivas" est utilisée comme signal identitaire alévi à un niveau national, voire international (puisqu'elle est usitée également dans la migration) depuis le massacre qui y a eu lieu lors d'une manifestation culturelle alévie en 1993. Or, ce territoire est approprié symboliquement par d'autres groupes, et utilisé comme référence dans différents discours identitaires ou politiques nationaux. Même les mobilisations larges, qui se construisent souvent sur plusieurs espaces, peuvent ainsi se servir du territoire, du terroir comme d’une ressource symbolique ou réelle.
On peut ici interroger la distinction classique entre mobilisation territoriale (qui s'appuie largement sur le hemsehrilik, le "nationalisme de clocher", lui-même à géographie variable selon les utilisations qui en sont faites) et mobilisations politiques ou identitaires. En effet, les mobilisations territoriales autour de Sivas sont presque toujours intégrées dans des mobilisations politiques ou identitaires. Les associations de village, installées dans les métropoles ou en Europe, qui regroupent les villageois dans le but d'aider au financement des enterrements et d'investir dans le terroir d'origine, sont de plus en plus regroupées sur des bases identitaires ou politiques ; parallèlement, les fédérations à base territoriale et politiquement orientées se multiplient. Pour Sivas en tout cas, les mobilisations uniquement "territoriales" (dans le but d'investir au village ou dans la région), en dehors de toute prétention politique, se font de plus en plus rares.
À cet égard, il semble important de souligner que le village, contrairement aux énoncés des théories de la modernisation, n'a pas perdu sa pertinence – ni comme contexte d'action, ni comme référence, ni comme ressource. Les villages sont réinvestis, non seulement en raison des retours partiels des migrants du travail aujourd'hui à la retraite, mais aussi symboliquement. Ainsi on observe, notamment en milieu alévi, des déplacements de tombes, la création de mausolées, de pèlerinages, la mise en place d'un tourisme religieux à dominante rurale et à connotation identitaire forte. La pertinence du village comme contexte d'action et référence est encore visible en ville, dans la multitude des associations de village. De nombreux jeunes nés dans les métropoles se considèrent comme membres d'un village, même s'ils n'y sont jamais allés. Ainsi, si la frontière urbain / rural existe dans le regard des autres, elle est souvent transgressée dans les pratiques géographiques et sociales – pas seulement dans les stratégies identitaires - , et elle n'est pas forcément pertinente dans l'identité ressentie. Dans ce contexte qui fait intervenir la mobilité et une multiplicité de lieux en relation, la centralité ne demeure pas forcément un attribut des métropoles.

Conclusion

Dans une perspective de constructions identitaires, il semble nécessaire d'abandonner une vision "essentialiste" du territoire, visant à définir ce qu'un territoire "est", pour une vision "relationnelle". En outre, les lieux et espaces investis sont tour à tour contexte d'action, ressource, et référence, qualités qui ne sont concevables que dans une perspective relationnelle. Mais certaines questions méthodologiques restent ouvertes. Tout d'abord, comment travailler avec une vision relationnelle du territoire ?
À cet égard, l'analyse de trajectoires d'entrepreneurs identitaires et de leur utilisation de territoires permet de mettre à jour des stratégies plus ou moins clairement reconstituables. En ce qui concerne les "consommateurs" de discours identitaires, ou les reproducteurs de pratiques identitaires, il est cependant beaucoup plus difficile de reconstituer et de rendre compte de leurs pratiques territoriales, au-delà de leurs parcours migratoires.
Enfin, les approches de science politique et les théories de la transnationalité postulent souvent une dichotomie entre les pays d'accueil de la migration d'une part et les pays d'origine d'autre part. Les cas étudiés au cours de notre recherche indiquent plutôt une continuité de lieux différenciés, mis en relations par des structures (par exemple réticulaires) elles-mêmes activées par des acteurs, sans coupure claire. Si les constructions identitaires se jouent souvent sur plusieurs espaces, il semble qu’on assiste, plus qu’à une dichotomie radicale entre la Turquie et l’Europe, à une continuité de lieux différenciés et diversement investis, où la frontière nationale ne représente qu’un saut qualitatif parmi d'autres. Le terme de "translocal" semble ici plus approprié que le terme "transnational". On semble ainsi assister, au niveau des stratégies identitaires et politiques, à une articulation importante entre mobilisations internes et externes, qui met en relation, de manière différentielle, champs migratoires internationaux et formes de mobilité internes. Cette géographie qui dépasse le cadre de l'Etat-nation donne aux acteurs la capacité de définir les territoires pertinents ; elle nécessite un regard renouvelé sur le rôle de la territorialité dans les stratégies politiques et identitaires.

Références bibliographiques

  • Amiraux Valérie, “ Les limites du transnational comme espace de mobilisation ”, Cultures et Conflits, n°33-34, numéro spécial “Les anonymes de la mondialisation ”, sous la direction de Cesari Jocelyne, 1999, pp. 25-50.
  • Anderson B., Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London and New York, Verso, 1983.
  • Anderson Benedict, The Spectre of Comparisons. Nationalism, Southeast Asia and the World, Londres, Verso, 1998.
  • Badie Bertrand, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995.
  • Gokalp Altan, Têtes rouges et bouches noires, Paris, Société d'ethnographie, 1979.
  • Günes-Ayata Ayse, “ Gecekondularda Kimlik Sorunu, Dayanisma Örüntüleri ve Hemsehrilik ”, Toplum ve Bilim, n° 51/52, 1990, pp. 89-101.
  • Kriesi Hans-Peter, The political Opportunity Structure of New Social Movements: Its Impact on Their Mobilization, Berlin, WZB, “ FS” (III), 1991, pp. 91-103.
  • Lubig Evelyn, Wie die Welt in das Dorf und das Dorf in die Welt kam, Saarbrücken, Breitenbach, 1998.
  • Massicard Elise, “ C’est ici que la République a été fondée, c’est ici qu’elle sera détruite ”, Intégration, mobilités et mobilisations politiques autour de Sivas (Turquie), Paris, Etude du CERI, 2001.
  • Mélikoff Irène, Sur les traces du soufisme turc. Recherches sur l'Islam populaire en Anatolie, Istanbul, Isis, “ Analecta Isisiana ” (III), 1992.
  • Seufert Günter, “ Between religion and ethnicity : a Kurdish-Alevi tribe in globalizing Istanbul ”, in Ayse Öncü, Petra Weyland (dir, Space, Culture and Power. London, Zed Books, 1997, pp. 157-177.
  • Van Bruinessen M., “ Aslini inkar eden haramzadedir ! The debate on the ethnic identity of the Kurdish Alevis ”, in Kehl K., Kellner-Heinkele B., Otter-Beaujean A. (eds.), Syncretistic Religious Communities in the Near East, Leiden, Brill, 1997.
  • Vorhoff Karin, Zwischen Glaube, Nation und neuer Gemeinschaft – Alevitische Identität in der Türkei der Gegenwart, Berlin, Klaus Schwarz, 1995.
Devamını oku: Élise Massicard : Constructions identitaires...

Delphine Pages : Mobilités et aires métropolitaines des villes secondaires du delta du Nil

En Égypte, depuis le milieu des années 1970, début de l’ouverture économique, les systèmes migratoires se sont considérablement transformés ; les migrations résidentielles, longtemps dominées par l’exode rural, grand moteur de la croissance urbaine, se sont inversées : les villes sont beaucoup moins attractives, de nombreux citadins les quittent en direction des villages périurbains. En outre, les migrations, au sens strict du terme, c’est-à-dire impliquant un changement de résidence , ont tendance à être supplantées par des déplacements de types plus complexes que certains auteurs résument sous le terme de “ circulation ” .
Ces mobilités permettent de mieux saisir les dynamiques urbaines actuelles —ralentissement des rythmes de croissance des grandes métropoles et villes secondaires, dynamisme des bourgs périurbains— et dessinent les contours d’une nouvelle définition de l’urbain, qui dépasse largement les limites de la ville officielle et celles de l’agglomération. Le lien entre ces mobilités et la formation de nouvelles configurations territoriales, les aires métropolitaines, constitue l’enjeu principal de cette recherche.
Si les migrations internationales et interrégionales ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques en Égypte, les mobilités intra-métropolitaines restent mal connues. Dans ce domaine, la thèse de S. Fanchette sur l’urbanisation des campagnes dans le Delta du Nil constitue un travail pionnier : si de moins en moins de ruraux quittent leurs villages pour s’installer en ville, en revanche, beaucoup d’entre eux y travaillent et s’y rendent quotidiennement. De plus, la crise du logement dans les grandes villes pousse de plus en plus de ménages citadins à venir s’établir dans les bourgs périphériques, à la recherche d’un loyer plus modéré. On comprend mieux le développement intense de mobilités circulaires.
Pourtant, ces mutations des systèmes migratoires tardent à s’imposer dans les problématiques de recherche et il arrive encore que les migrations internes soient uniquement envisagées en termes d’exode rural et d’urbanisation . Ce cliché a la vie longue, ce qui risque de poser à terme des problèmes en termes d’aménagement du territoire.
Si l’enjeu de ces nouvelles dynamiques a suscité des travaux à l’échelle des grandes métropoles —Le Caire essentiellement, avec A. Deboulet sur les mobilités résidentielles et C. Barge sur les mobilités quotidiennes—, la capacité des villes secondaires à structurer ces déplacements complexes n’a pas encore été démontrée. Aussi, en partant de l’analyse des trois plus grandes villes secondaires du Delta —Tantâ, Mahalla et Mansûra, agglomérations de 500 000 habitants—, on cherchera à approfondir la mesure et la structure des flux créés par les mobilités résidentielles et circulaires, pour ensuite mener l’étude de la recomposition des territoires métropolitains, dessinés par ces nouvelles dynamiques.

Les mesures de la mobilités

Cerner avec précision l’ampleur, la structure et l’évolution de la mobilité, soulève de nombreuses difficultés.

Migrations résidentielles : le desserrement urbain

On ne dispose pas des outils statistiques fiables pour mesurer ces migrations résidentielles. En effet, les données publiées par le CAPMAS ne sont disponibles qu’au niveau du gouvernorat, divisé en deux secteurs, urbain et rural. Seule conclusion que l’on puisse tirer de ces données : la prédominance des migrations rural-rural et de celles urbain-rural à l’intérieur des gouvernorats étudiés, la Daqahliyya et la Gharbiyya. Toutefois, la classification officielle de l’urbain en Égypte, qui est loin de correspondre à la réalité, pourrait corrompre l’interprétation de ces tendances : ces migrations sont moins le signe d’une inversion de l’exode rural, que d’une redistribution des dynamiques urbaines dans un champ plus vaste, l’aire métropolitaine.
Une autre méthode, plus expérimentale, nous permet de confirmer cette hypothèse. À partir du recensement de population, on calcule des taux annuels de migration nette, en retranchant le taux d’accroissement de la population au taux d’accroissement naturel . Comparée aux tableaux du CAPMAS, cette méthode a l’avantage d’être calculable à l’échelon le plus fin, la commune, mais souffre d’un inconvénient, la perte de l’information géographique sur l’origine et la destination des migrants. Dans l’ensemble, le bilan migratoire des grandes villes du Delta est négatif (-0,36 % pour Mahalla et –0,11 % pour Tantâ) —Mansûra fait figure de cas isolé, en gardant un caractère attractif (0,17 %) —, alors que les districts ruraux des villes secondaires ont tous un bilan excédentaire, et plus particulièrement les villages qui composent leurs agglomérations.
L’inversion des tendances migratoires constatées en Égypte renvoie donc à un phénomène classique de desserrement urbain, qui a été décrit pour les grandes métropoles mondiales (Moriconi, 2000). Ce phénomène se traduit aussi au niveau de la population : les centres-villes perdent des habitants, tandis que les banlieues de l’agglomération en attirent. Ces mouvements de redistribution ne se limitent pas aux communes de l’agglomération, mais s’étendent aussi à la couronne plus large des villages périurbains.
Nombreux sont les ménages qui quittent la ville pour s’installer dans les villages périurbains, ou qui choisissent d’y rester, tout en continuant à travailler en ville. Plusieurs facteurs expliquent ces nouveaux “ modes d’habiter ” : coût moins élevé des logements , transports peu chers, amélioration des équipements et services en milieu rural... La hausse des loyers urbains est le reflet d’une pression foncière, particulièrement marquée dans les villes secondaires du Delta. Contrairement au Caire ou à Alexandrie, ces grands centres urbains ne disposent pas de terrains désertiques pour y déverser le trop-plein de leur croissance. L’extension urbaine se fait donc forcément au détriment des terres agricoles dont la protection est de plus en plus sévère. S’il est interdit depuis plusieurs années de construire sur des terres agricoles, l’instauration d’un décret militaire en 1996 a fait en sorte que la loi soit correctement appliquée : toute infraction est désormais immédiatement sanctionnée par l'arrivée de bulldozers qui détruisent les constructions illégales.
Pour donner une image complète de ces mobilités résidentielles, il nous a paru important de terminer sur une typologie très simple de ces migrations, bâtie sur le critère de motivation du changement de résidence.
Le cas le plus courant renvoie à un phénomène qui a déjà été décrit pour le Caire, la décohabitation des jeunes ménages. P. Fargues explique ce phénomène par l’évolution des structures familiales, résultat de la transition démographique : “ Alors qu’auparavant un homme avait de bonnes chances de succéder à ses parents dans le domicile familial au moment de son propre mariage, il doit aujourd’hui s’établir séparément. Cet allongement du cycle familial suppose l’extension du parc de logement ” (Fargues, 2000, 65-66). Alors que les centres sont saturés, les appartements disponibles et bon marché se situent plutôt en périphérie, dans les quartiers informels ou les villages périurbains.
On distingue ensuite deux grands types de migrations, les premières dites “ contraintes ”, parce qu’elles sont vécues comme un rejet de l’espace urbain, alors que les secondes s’insèrent davantage dans une stratégie familiale.

  • Les migrations “ contraintes ” sont souvent le résultat d’un incident conjoncturel : conflits graves avec la belle-famille, effondrement d’immeubles… Ce dernier cas de figure est assez fréquent, compte tenu de la “ taudification ” des quartiers anciens, où de nombreuses maisons menacent de s'écrouler. Incapables de retrouver un logement à un prix abordable, les familles touchées ont pu vivre plusieurs années dans des huttes (ìshash), édifiées généralement dans la même rue que leur ancien domicile. Souvent, elles finissent par être relogées par le gouvernement dans des logements sociaux, disséminés dans des villages voisins. Quand les familles ne sont pas prises en charge par l’administration locale, elles choisissent de partager un appartement à plusieurs dans ces mêmes villages périphériques et cohabitent à trois ou quatre ménages, rarement de la même famille. Sans en arriver à la situation extrême de l’effondrement d’immeubles, il est fréquent que certains citadins démunis ne soient plus capables de payer un loyer en centre-ville.
  • Pour d’autres, la migration apparaît comme le fruit d’une stratégie : un médecin de Tantâ a décidé de s’installer à Sibirbây. Il travaille en ville, à l’hôpital et dans un dispensaire du village. Dans sa nouvelle résidence, il a la possibilité de posséder un immeuble entier pour sa famille, dispose de tous les équipements urbains —égouts notamment— et cela à un endroit accessible au centre-ville en moins de dix minutes. En outre, il existe aussi des migrations de retour au village, au moment de la retraite. Très souvent, des fonctionnaires qui étaient locataires en ville pour une somme modique, cèdent leur appartement à leurs enfants et construisent une nouvelle maison, légèrement à l'extérieur du village.

Entre la grande ville, centre des emplois et des services, et son environnement rural, se déploie une intense circulation.

Le développement des mobilités circulaires

Paradoxalement, le développement des mobilités circulaires semble aller de pair avec l’appauvrissement progressif des sources. Le recensement de population de 1976 offrait un tableau sur les mouvements pendulaires (navettes domicile-travail). Par exemple, 23 % des personnes qui travaillaient à Tantâ résidaient hors de la ville, et une majorité provenait de son district rural. Vingt-cinq ans après, les mouvements se sont renforcés et les zones d’influence se sont très certainement élargies. Toutefois, il est pratiquement impossible de les mesurer avec exactitude.
Le seul calcul que nous avons pu effectuer pour 1996 consiste à établir le rapport entre les actifs au lieu de travail, donnés par le recensement des établissements et ceux au lieu de résidence, fournis par les recensements de population. Mais, la comparaison entre les deux sources est loin d’être évidente : en effet, le recensement des établissements ne prend en compte que les gens travaillant dans un établissement, comme son nom l’indique, et parmi ceux-là, ceux qui ont un contrat stable. D’autre part, le secteur gouvernemental, c’est-à-dire essentiellement les fonctionnaires, n’est pas pris en compte. Cependant, un tableau du recensement de population permet de remédier à ce handicap, car il donne les actifs résidents en fonction des secteurs, public, gouvernemental et privé, en spécifiant pour ce dernier les actifs travaillant dans un établissement et hors établissement. Nous avons donc établi un rapport entre actifs au lieu de travail et au lieu de résidence, uniquement pour les secteurs publics et privés dans un établissement. Ce rapport permet uniquement de situer les espaces attractifs, mais de manière relative, sachant que les fonctionnaires constituent la majorité des emplois en ville et que tous n’y résident pas.
Le résultat obtenu est peu surprenant, ce sont clairement les villes qui sont les plus attractives, à l’exception d’un district rural, celui de Mansûra, qui attire aussi des actifs, signe d’une délocalisation de l’activité dans la couronne périurbaine.
Mais, les mobilités circulaires ne se réduisent pas aux navettes domicile-travail. Tout aussi intéressants à étudier sont les déplacements pour études. Là encore, les mesures ne sont qu’approximatives : en 1976, Tantâ attirait 18 300 élèves non résidents en ville, Mansûra 16 000. Dix ans plus tard, le recensement de 1986 n’a pas la même précision, mais l’on sait, par d’autres sources, que 40 % des étudiants de l’Université de Tantâ résident en dehors de son gouvernorat, la Gharbiyya. Sachant que les capacités d’accueil en résidence universitaire existent, mais sont réduites, et que la location d’un appartement en ville en un phénomène assez peu répandu, on peut en conclure que la majorité de ces étudiants effectue des déplacements quotidiens pour suivre leurs cours.
Enfin, une façon de saisir ces mobilités circulaires consiste à s’intéresser de plus près à leur vecteur, un réseau de transport performant.

Accessibilité urbaine : le succès des transports en commun

Dans un système de peuplement où les densités rurales sont très élevées —1500 habitants/km2 en moyenne—, et où les métropoles régionales polarisent une majeure partie de l’activité économique et des services, les mobilités circulaires fonctionnent grâce à une bonne accessibilité aux grands centres urbains. Cette dernière est fondée sur la flexibilité et la hiérarchisation du système des transports collectifs, publics et privés —microbus et taxis collectifs— et sur un coût assez faible qui reste supportable même pour les ménages démunis.
Ces notions de flexibilité et hiérarchisation sont fondamentales : la noria des microbus et taxis collectifs permet l’existence, dans tout village du Delta, d’une offre de transport en commun quasi-instantanée. Les trajets effectués se calquent et s’articulent sur la hiérarchie administrative : un véhicule desservira le tronçon village/chef-lieu de district, un autre opérera la jonction chef-lieu de district/capitale du gouvernorat. Très souvent, on constate une adaptation du parc automobile à la rentabilité des segments parcourus : si les microbus sont majoritaires pour les liaisons inter-villes, les “ pick-up ”, bâchés pour l’occasion et affublés de planches de bois en guise de sièges, sont plus courants pour la desserte de villages moins accessibles. En dépit de l’extrême diffusion de ce système de transports collectifs privés et sa grande souplesse, les autobus publics continuent à jouer un rôle très important : à Tantâ, ils transportaient, au début des années 1990, plus de 90 000 passagers par jour.
La mesure des flux de véhicules pourrait constituer un bon indice de ces mobilités circulaires. Si des données ont pu être collectées suite à de nombreuses enquêtes auprès des responsables locaux, elles sont difficilement utilisables, notamment pour les taxis et microbus, où l’importance du trafic informel fausse les statistiques officielles .
En dépit des difficultés à mesurer avec précision ces flux, il est indéniable que les mobilités circulaires ont pris une importance considérable tant dans la vie quotidienne que dans l’organisation de l’espace et que, partant, elles dessinent des territoires métropolitains aux configurations nouvelles, en abolissant les frontières entre l’urbain et le rural.

Quelle configuration pour les aires métropolitaines ?

Trois échelles de définition de l’urbain

Afin de mieux saisir la notion d’aire métropolitaine, nous reprendrons la distinction établie par F. Moriconi-Ebrard sur les trois niveaux d’analyse de l’urbain :

  • la ville officielle a d’abord un sens politique. En Égypte, la définition administrative de l’urbain est très restrictive.
  • l’agglomération renvoie davantage à la vision du géographe, à un milieu. Son critère de délimitation, la continuité du bâti, est facile à délimiter. Dans le Delta, les taux d’urbanisation officiels et ceux de l’urbain aggloméré passent du simple au double, de 30 % à 60-70 %. Pour Tantâ, Mahalla et Mansûra, l’agglomération représente environ ¼ de population en plus, soit un apport de 100 000 habitants.
  • l’aire métropolitaine se définit surtout par une dimension socio-économique. C’est un “ système socio-économique fait de mouvement et dont on évalue les dimensions à partir des faits économiques ou sociaux : navettes domicile-travail, fonctions, niveaux de services. Ses limites sont invisibles dans l’espace car l’aire métropolisée s’appréhende par les réseaux. Or, par définition, les réseaux n’ont pas de limites territoriales ” (Moriconi-Ebrard, 2000, 1).

Les problèmes méthodologiques liés à l’emploi de ce concept sont doubles :

  • problème d’ordre technique, de délimitation : en tant que réseaux, les aires métropolitaines n’ont pas de limites territoriales.
  • problème conceptuel, lié à la notion d’urbanité. On associe traditionnellement, et ce depuis très longtemps, les critères de centralité et de densité pour qualifier l’urbanité. Or, les aires métropolitaines, proches du concept de périurbain, semblent remettre en cause ces deux fondements :

“ On a depuis environ 8500 ans expliqué la ville par un phénomène de concentration, c’est-à-dire de mouvements centripètes tendant à se réunir dans un centre. Or, il faudrait désormais l’expliquer par des mouvements centrifuges, c’est-à-dire par des éléments qui apparaissent a priori comme le propre de la ville, par exemple, la densité ” (Moriconi, 2000, 82) . Quel peut être l’apport du cas égyptien dans cette analyse des aires métropolitaines ?

Fonctionnement et limites des aires métropolitaines

Le fonctionnement et les limites des aires métropolitaines peuvent être analysés par le biais de bassins d’emplois et de caractéristiques socio-économiques des populations périphériques. Le premier critère, on l’a vu, est délicat à évaluer de manière systématique, toutefois, des études ponctuelles permettent de se faire une idée de l’origine des “ commuters ”. D’après une enquête réalisée auprès d’employés des grandes entreprises publiques et des fonctionnaires de l’Université de Mansûra, 34 % proviennent de la ville Mansûra, 20 % de son district rural, 20 % du district de Talkhâ, sa ville doublon de l’autre côté du Nil, et 11 % de celui d’Agâ, soit une grande majorité originaire d’une zone distante de moins de 15 km environ (W. Muhammad, 1999).
En revanche, le second critère apparaît plus opérationnel : les recensements offrent une série de variables, parmi lesquelles on peut choisir des indices de l’urbanité, par exemple, la part de la population active employée dans l’agriculture (en négatif), dans l’industrie, ou encore la présence de diplômés du supérieur, ou enfin les taux d’analphabétisme et d’activité féminine… La combinaison de ces variables, si elle ne définit pas de territoire aux limites franches, dévoile la présence d’un double processus. D’une part, apparaissent des zones d’influence autour des grandes villes —le phénomène est plus marqué pour les capitales de gouvernorat, Tantâ et Mansûra— et d’autre part, il existe bel et bien un processus de diffusion de l’urbanisation, notamment aux agglomérations de plus de 10 000 habitants (Denis, 2001). Cette urbanisation in situ se traduit par non seulement par l’évolution socio-économique de ces populations, mais aussi par l’arrivée de services et d’équipements (commerces, eau potable, assainissement, écoles…) typiquement urbains.
Les statistiques nous invitent donc à conclure à l’existence de zones métropolitaines, identifiables dans une certaine mesure, et parallèlement à l’atténuation du clivage urbain-rural. Mais, cela ne signifie pas pour autant la disparition de ces catégories dans les mentalités ou les pratiques des habitants. C’est ici qu’une approche socio-anthropologique s’avère complémentaire à la démarche quantitative utilisée jusqu’à présent.

L’apport socio-anthropologique pour des limites de l’urbain floues

Parallèlement aux contours géographiques qui s’estompent, l’urbain et le rural ne sont plus les lieux d’une identité exclusive, même si cette distinction reste très vivace dans les mentalités égyptiennes.
Des entretiens avec les personnes qui effectuent ces circulations incessantes entre la grande ville et leur “ village ” démontrent que le sentiment de pluri-appartenance est très répandu et qu’elles maîtrisent aussi bien les différents espaces. Beaucoup se sentent citadins la journée sur le lieu de travail, et villageois, le soir, quand ils rentrent à la maison. Cette ambivalence peut se traduire par l’adoption de deux tenues vestimentaires différentes : le costume pour la ville et la galabiyya (longue tunique blanche) chez soi. En outre, des pratiques typiquement urbaines se diffusent suite à un contact prolongé avec la ville. Muhammad, maître-assistant à l’Université de Mansûra, originaire d’un village près de Samanûd et qui y réside toujours, a choisi de scolariser ses enfants dans une école de langues (apprentissage de l’anglais) à Talkhâ, à une vingtaine de kilomètres. Un car de ramassage scolaire vient les chercher chaque matin.
Néanmoins, la vision que les personnes ont d’elles-mêmes contraste avec les regards qu’elles portent sur les autres. Cette désignation de l’autre comme paysan est très fréquente à l’échelle nationale : les Cairotes ou les Alexandrins expriment souvent une vision simple, caricaturale de l'Égypte provinciale assimilée, à leurs yeux, à un espace abritant essentiellement des populations “ paysannes ”. Cet attribut de ruralité concerne tout autant les habitants des grandes villes que ceux de la campagne. Ce regard porté sur l’autre se retrouve aussi à l'échelle de la ville : des femmes assises sur le pas de leur porte à même le sol, des enfants jouant pieds nus dans la rue, ou encore une odeur de four baladi (four à pain typiquement villageois) seront aussi stigmatisés comme "paysans" par des habitants du même quartier.
Ce qui est valable pour les pratiques l’est aussi pour les espaces. Si les paysages tendent à se ressembler —dans les bourgs, la multiplication des immeubles, l’absence de planification et la diffusion du mode de construction de type “ skeleton ” (structure en béton armé et remplissage de briques) produisent des paysages très proches des quartiers informels— il est impossible, pour autant, de conclure à l’homogénéisation des espaces.
En effet, on constate un certain enracinement au lieu d’origine. Les habitants des bourgs périphériques gardent le contrôle de leur territoire, notamment en restant maîtres des investissements liés au développement des mobilités circulaires et de la périurbanisation. Les liaisons villages-villes sont effectuées par des microbus dont les propriétaires et les chauffeurs sont originaires du village ; de plus, les citadins qui viennent s’installer dans les bourgs périurbains sont principalement des locataires, la terre reste pour l’essentiel entre les mains de personnes locales. Enfin, dans le cas de bourgs agglomérés aux grandes villes, il semblerait que les habitants s’opposent à l’intégration de leur commune au périmètre municipal .
Quant aux citadins qui s’installent dans les localités périurbaines, leurs attaches —travail, achats, relations sociales, scolarisation des enfants— restent profondes avec la ville. Ils ne sont pas toujours bien intégrés à la population locale : désignés sous l’appellation de “ baldî-s ”, ils habitent des quartiers nouveaux, situés à proximité des routes menant à la ville, différents morphologiquement des anciens centres villageois.
Ainsi, si l’on peut conclure à la diffusion de l’urbanisation et l’effacement des frontières entre urbain et rural, il importe d’envisager la constitution d’aires métropolitaines autour des villes secondaires du Delta, comme l’émergence d’un “ tiers-espace ”, qui n’est pas forcément synonyme de dilution de l’urbanité.

Conclusion

Certains auteurs voient dans la mobilité circulaire un substitut à la migration définitive vers la ville, ce qui expliquerait le maintien de taux d’urbanisation peu élevés : “ Dans les pays à prédominance rurale où ces formes de mobilité tiennent une place primordiale, comme en Asie, la transition urbaine prendra beaucoup plus de temps que ne le supposent les modèles de transformation urbaine rapide, et elle se déroulera selon ses modalités propres ” (Dupont, Dureau, 1994, 825).
Mais, une telle affirmation peut créer des malentendus, car en Égypte, si le taux d’urbanisation reste bas, c’est avant tout un problème de définition statistique. Très clairement, l’intensification de la mobilité est un vecteur de l’urbanisation des campagnes, qui accélère la transition urbaine.
Il faut donc conclure sur l’importance des liens entre mobilité et urbanité qui ont été affirmés soit par des sociologues (Remy, Voye, 1992), soit par des géographes comme J. Lévy qui place la question de l’accessibilité au cœur de la définition de l’urbanité, définie comme “ les options, d’ailleurs peu nombreuses que peuvent mobiliser les sociétés pour lutter contre la distance ” (Levy, 1999) .

Bibliographie

  • DEBOULET A., “ Des quartiers centraux vers les périphéries spontanées. Éléments sur la mobilité résidentielle dans la région du Grand Caire ”, Les nouvelles formes de la mobilité spatiale, Tome II, 1995, pp. 433-462.
  • DEBOULET A., “ Réseaux sociaux et nouveaux quartiers au Caire : les stratégies de mobilité résidentielle ”, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°59-60, 1993, pp. 78-89.
  • DENIS E., “ Actualité de l’urbanisation en Égypte ”, Lettre d’information de l’OUCC, n°51 (à paraître).
  • DUPONT V., DUREAU F., “ Rôle des mobilités circulaires dans les dynamiques urbaines. Illustrations à partir de l’Equateur et de l’Inde ”, Revue Tiers-Monde, XXXV, n°140, octobre-décembre 1994, pp. 801-829.
  • DUPONT V., GUILMOTO C., “ Mobilités spatiales et urbanisation. Théories, pratiques et représentations ”, Cahiers des Sciences Humaines, vol. 29, n°2-3, octobre-décembre 1993, pp. 279-295.
  • FANCHETTE S., “ Les migrations pendulaires dans le centre et le sud du Delta du Nil ”, Les nouvelles formes de la mobilité spatiale, Tome II, pp. 353-379.
  • FARGUES P., Générations arabes. L’alchimie du nombre, Paris, Fayard, 2000, 349 p.
  • FARGUES P., “ L’urbanisation du monde arabe : un éclairage démographique ”, Égypte-Monde Arabe, Le Caire, CEDEJ, 1995, pp.43-62.
  • LEVY J., Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Mappemonde, Belin, 1999, 399 p.
  • MORICONI-EBRARD F., De Babylone à Tokyo. Les grandes agglomérations du monde, Paris, Ophrys, 2000, 344 p.
  • REMY J. et VOYE L., La ville : vers une nouvelle définition ? Paris, L'Harmattan, 1992, 174 p.
  • Shûhdî ‘Abd al-Hamîd AL-KHAWAGA, Le transport urbain à Mansûra et ses problèmes, Etude géographique (en arabe), Thèse de Magistère, Faculté de Lettres de l’Université de Mansûra, Département de Géographie, 1999, 339 p.
  • Sâmî Ibrahîm ‘Abd al-Rahman MUHAMMAD, al-Naql al-Dâkhlî fi madîna Tantâ wa-mushkalatih al-ra`îsiya (Le transport urbain à Tantâ et ses principaux problèmes), Thèse de magistère, Faculté de Lettres de l’Université de Tanta, Département de Géographie, 1992, 289 p.
  • Wâ`il ‘Abd Allah MUHAMMAD, La population du markaz de Mansûra, Etude de géographie démographique (en arabe), Thèse de magistère, Faculté de Lettres de l’Université de Mansûra, Département de Géographie, 1999, 324 p.
Devamını oku: Delphine Pages : Mobilités et aires...

Camille Schmoll : Espaces cosmopolites et circulants transnationaux : les effets des mobilités contemporaines sur les territoires méditerranéens

Naples , troisième ville d’Italie, peine à se dégager des représentations négatives qui l’ont longtemps caractérisée. Capitale du Mezzogiorno, elle concentre en effet les difficultés d’un sud italien en mal-développement : un taux de chômage particulièrement élevé, une criminalité organisée en redéploiement, confèrent à la ville un caractère a priori peu attractif. Dans ce contexte, comment penser et expliquer l’existence d’un flux migratoire dirigé sur Naples, ville aux marges des grands processus de concentration contemporains ?

En effet, si elle n’est que la septième ville d’Italie pour sa présence étrangère, Naples n’en est pas moins un lieu de passage de toute première importance dans les trajectoires des individus migrants, mais le fait que cette mobilité soit difficilement quantifiable contribue à sous-estimer leur présence dans la ville.

D’autre part, cette mobilité est souvent interprétée comme une contrainte : la métropole napolitaine, tout comme le Mezzogiorno en général, serait la porte d’entrée de l’Europe et Naples, plaque tournante de l’immigration, constituerait un lieu de refuge provisoire pour des oiseaux de passage en attente d’un permis de séjour (Piore, 1979).
Ainsi les flux migratoires convergeant sur Naples, épiphénomènes des dynamiques migratoires contemporaines, seraient peu dignes d’étude car les migrants n’y laisseraient que peu de traces. Les périphéries dégradées de Pianura et Ponticelli, lieux d’errance et de déshérence, témoignent de cette interprétation. Interprétation univoque et assez classique des mobilités qui doit être dépassée, car si cette particularité de la métropole napolitaine existe bel et bien, elle masque d’autres aspects de la réalité migratoire.

En outre, cette interprétation témoigne d’une incapacité à imaginer que la ville puisse attirer les migrants : Naples n’a-t-elle pas représenté pendant des décennies l’archétype de la ville qu’on quittait ?

Et pourtant, il semble que Naples, ville poreuse , soit en phase d’être transformée par cette présence : on assiste ainsi à la constitution dans le quartier de la gare et dans certaines périphéries de la ville, d’un dispositif économique transnational qui a entraîné l’ouverture de nombreux commerces communautaires et de vente en gros (Chinois, Sri Lankais, Maghrébins, Sénégalais) et qui attire des migrants, parmi lesquels des commerçants ambulants (Marocains, Sénégalais, Nigérians, Polonais et Ukrainiens), des immigrés en Italie venus faire leurs emplettes et surtout des circulants transnationaux (Algériens, Marocains, Tunisiens). Pour ces migrants, la ville de Naples est une étape. En mobilité, ils construisent des réseaux et circulent entre différents pôles, dont les localisations varient selon les populations considérées, et nous invitent à rechercher de nouveaux instruments d’analyse des flux.

Il convient donc de prendre en compte les capacités des individus migrants à développer leurs propres initiatives et à créer de l’emploi , mais aussi à fédérer des territoires a priori peu connectés les uns aux autres. En effet, pour les populations étudiées, il semble bien que la mobilité constitue un atout que l’autochtone ne possède pas toujours, puisqu’elle réserve la possibilité de tirer profit simultanément de plusieurs espaces. Mieux, par le truchement de la circulation, il y a construction et mise en réseaux de territoires discontinus. La ville de Naples s’intègre ainsi à un archipel de lieux stratégiques dans les circulations d’hommes, d’informations et de marchandises.
Plus généralement, l’objectif est d’engager une réflexion sur le rôle des métropoles européennes secondaires dans la structuration d’espaces et de réseaux migratoires transnationaux. L’exemple napolitain invite en effet à réfléchir sur la place de ces métropoles secondaires méditerranéennes -qui ne sont pas des grandes métropoles polarisatrices, centres de décision importants au cœur de l’économie monde- dans les dynamiques migratoires actuelles. Leur position marginale —souvent de charnière, voire de frontière— leur confère-t-elle un rôle particulier pour les migrants ?

Une de nos hypothèses est que les migrants, en intégrant ces villes à des réseaux urbains, leur rendent une centralité (et peut-être même une modernité ?) en polarisant des flux sur ces villes et en exploitant les ressources offertes par leurs territoires. En d’autres termes, “ ce qui apparaît à l’échelle locale comme minorité se trouve à l’échelle des réseaux comme centralité, une centralité diverse de celle historique et locale, qui pourtant appartient à la dynamique interne de la ville ” (Tarrius, 1992).

Questionnements

Les questionnements présents dans ce travail s’articulent autour des thématiques suivantes :

  • Mobilité : la mobilité est-elle nécessairement une contrainte, ou ne peut-elle pas correspondre à des stratégies délibérément choisies ? L’étude des mobilités nécessite d’envisager macro et micro-échelles, d’effectuer des télescopages dans l’observation (Viard, 1994, pp. 8-9). En effet, pour les populations que nous étudions cette mobilité est à la fois locale, urbaine (ancrages territoriaux dans l’aire métropolitaine de Naples) et globale, transméditerranénne (des réseaux fluides en construction et en expansion entre le Maghreb et l’Europe méridionale).
  • Marginalité : la marginalité spatiale (les espaces étudiés, quartiers en déshérence et villes de périphérie, se situent principalement aux marges des centres-villes) équivaut-elle nécessairement à une marginalité sociale ? Ce qui est perçu comme marginal par certains (la ville de Naples et ses caractéristiques socio-économiques, les quartiers étudiés) peut-il être central pour d’autres ? Ce type de questionnement nécessite une remise en question de nos hiérarchies et probablement de substituer le couple traditionnel centre/périphérie au profit d’une multipolarité des lieux de la migration (Tarrius, 2000).
  • Dimension marchande : Pourquoi la dimension marchande domine-t-elle à Naples ? En d’autres termes, de quelles manières la ville devient/redevient-elle un pôle marchand important dans un système de mouvement de personnes, de marchandises et de valeurs (matérielles et immatérielles) ? Il s’agit ici de s’interroger sur les atouts, notamment économiques, que peut offrir la ville aux migrants mais aussi de se demander dans quelles mesures les migrants, par le biais d’une forte structuration communautaire, parviennent à transformer la ville. En d’autres termes, quelle est la part des structures d’opportunités (notamment un tissu socio-économique particulier, basé sur des pratiques souvent informelles), et quelle est celle des ressources communautaires dans la constitution d’une réalité marchande à Naples ? Dans le choix d’une localisation, le lieu tient-il une place prépondérante, ou bien y a-t-il équivalence des lieux , comme la fluidité des réseaux migratoires pourrait le laisser croire ?
  • Territoires cosmopolites : Quels sont les effets des mobilités sur le territoire ? De quelle manière les circulants produisent-ils des formes originales de territorialisation, des territoires cosmopolites ? La notion de cosmopolitisme recouvre celles d’identité locale, de création de richesses et de coexistences pacifiques. Dans ces espaces cosmopolites, c’est l’altérité, la capacité d’être en rapport avec des groupes différents qui structure le rapport à l’autre. Mais le terme est encore à préciser et reste également à comprendre si ces phénomènes de cosmopolitisme sont de nature nouvelle, en d’autres termes s'ils réactualisent des formes traditionnelles d’échange (réapparition de places marchandes en Méditerranée semblables aux “ comptoirs ” traditionnels), ou bien si on assiste à la mise en place de nouvelles formes de circulation spatiale et sociale.

De fait, un des aspects les plus intéressants du phénomène migratoire à Naples est précisément celui des interactions qui se jouent dans les places marchandes entre collectifs différents. Dégager ces interactions, mais aussi les articulations entre économie formelle et informelle, locale et transnationale, semble nécessaire à l’analyse du dispositif en constitution à Naples.
L’observation de situations de mobilité et d’échange et la reconstitution de trajectoires socio-spatiales mettent en lumière les transformations impulsées par des individus entrepreneurs qui montrent qu’on peut créer du territoire sans être nécessairement “ enraciné ” et invitent à concevoir les migrations contemporaines non plus uniquement de façon bipolaire, mais en termes d’archipel et de pluri-centralités. Dans ce contexte, les données officielles, en particulier de stock, peu à même de traduire les mobilités, sont insuffisantes. La nécessité d’observer et de quantifier la circulation conduit à rechercher des instruments d’analyse nouveaux. Comptabiliser les modes de transport utilisés et souvent auto-produits par les migrants et les emprunter pourrait permettre de préciser l’importance et les modalités des flux (De Tapia, 1996).

Espaces de la migration à Naples, espaces étudiés

On peut grossièrement distinguer trois types d’espaces transformés par la présence des migrants à Naples, en fonction de la distribution spatiale des migrants et de leurs situations migratoires :

  • Les quartiers d’installation durable du centre-ville ;
  • Les périphéries de transit et d’errance, aux marges de la ville ;
  • Les territoires de la circulation et de l’économie du migrant.

Ces derniers constituent l’objet de notre travail. Ce sont en effet les espaces qui ont été les plus transformés par la présence des migrants. Migrants et non immigrés, car le terme de migrants souligne davantage la mobilité, la co-présence en plusieurs espaces des individus étudiés, mais aussi leur capacité à créer du territoire. Traversés par des circulations intenses, ces espaces correspondent également aux zones qui concentrent la présence étrangère la plus importante.
Les prémices de l’apparition d’une économie du migrant dans ces espaces ont lieu dans les années 1980 qui sont simultanément celles de bouleversements socio-économiques et celles du début d’une immigration structurelle en Campanie. La grande entreprise, outil-symbole d’une politique du développement méridional, décline, alors que d’autres activités, liées à d’antiques traditions, émergent. Ces secteurs, petit commerce et artisanat, désignés comme marginaux, se montrent particulièrement dynamiques. Ainsi il n’est pas rare que le petit commerce devienne commerce de gros et l’artisanat, manufacture. C’est précisément dans ces activités que les nouveaux arrivants s’insèrent. Le processus économique s’affirme et se renforce durant les années 1990, parallèlement au renforcement du phénomène migratoire. Mieux, il semble que les populations migrantes tirent profit des dynamiques économiques les plus porteuses et originales de Naples et ainsi, contribuent directement au renouveau de la ville . Les terrains étudiés, représentatifs de la circulation et de l’économie du migrant sont au nombre de trois : Il s’agit d’un quartier central mais déconsidéré et “ laissé en friches ” pendant de nombreuses années, et de deux zones périphériques en développement productif :

  • Le quartier de la gare à Naples ;
  • Les périphéries productives et commerciales textiles de la zone vésuvienne ;
  • Les périphéries productives et commerciales de la chaussure au nord de Naples.

Entrepreneurs circulants et mobilités transméditerranéennes

Effectuer une typologie des pratiques de mobilité et des réseaux sociaux qui les soutiennent peut permettre de comprendre comment Naples se constitue en pôle marchand. Les figures du commerçant ambulant marocain et circulant algérien semblent significatives dans la mesure où elles illustrent bien la place de Naples dans des stratégies migratoires et des mobilités transméditerranéennes.
Si une telle classification présente des limites, le recours à ces types en tant que figures caractéristiques d’une catégorie de personnes s’avère nécessaire en tant que modèle simplifié des comportements qui permet de comprendre et d’appréhender la réalité. Cette typologie est donc une “ commodité méthodologique pour rendre compte à un certain moment du parcours de recherche, de convergences de sens, de proximités de formes, à même d’articuler de nombreuses et microscopiques observations empiriques en unités de comportements collectifs comparables ” (Tarrius, 1992). Il s’agit également de comprendre que les individus étudiés ne correspondent pas nécessairement totalement à ces types et ne sont pas des figures figées. Les comportements fluctuent, et en ce sens, définir des types c’est aussi “ identifier les passages des uns aux autres ” (Tarrius, 1992).

Le commerçant ambulant “ fourmi ” marocain : une stratégie basée sur la mobilité périurbaine et le va-et-vient

La présence marocaine en province de Naples se concentre dans la zone vésuvienne, région périurbaine dont les caractéristiques socio-économiques se montrent, dès les années 1970, favorables à l’installation d’un groupe d’hommes d’âge moyen et pratiquant le commerce ambulant. Très vite, une filière migratoire connectant les régions centro-occidentales du Maroc (Khouribga, Beni Mellal, El Borouj) —nouvelles régions d’émigration— et la zone vésuvienne se met en place.
La stratégie commerciale de ces migrants se fonde sur une pratique de la mobilité à double échelle, c’est-à-dire périurbaine et transméditerranéenne. L’activité locale, exercée de manière itinérante, a pour moyen de locomotion la circumvesuviana (le train qui encercle le Vésuve) qui permet de se rendre dans les lieux d’approvisionnement et de vente. À San Giuseppe Vesuviano, ces commerçants achètent articles textiles, linge de maison et prêt-à-porter, qu’ils vendent au porte-à-porte et sur les marchés. Dans le centre de Naples, ils achètent mouchoirs en papier, bibelots et jouets de plastique. Depuis peu, ils se fournissent également en vêtements et bibelots auprès des grossistes chinois. La clientèle privilégiée de ces marchands est constituée de femmes au foyer isolées des grands centres d’achat qui ont recours au Marocain pour se “ dépanner ” en produits d’entretien ou en linge de maison et ses trajectoires couvrent presque la totalité de la province de Naples, à l’exception du centre-ville. Le carozzino, support de ses marchandises, est une poussette pour enfants, aménagée afin de pouvoir servir à la fois de présentoir et de moyen de transport.
À Naples, le commerce ambulant constitue l’illustration paradigmatique de la pratique de l’arrangiarsi, si bien que le parcours du commerçant marocain rappelle fortement celui de certains Napolitains, et notamment, dans la zone vésuvienne, celui des fameux magliari (fripiers) qui, partant de la vente ambulante de vêtements usagés dans l’après-guerre, sont devenus grossistes puis producteurs (ils fournissent actuellement les commerçants maghrébins) et représentent aujourd’hui les self-made-men par excellence.

Le commerçant marocain, tirant profit des opportunités offertes par le contexte, s’est construit une stabilité dans la précarité. Précaires durables, certains d’entre eux pratiquent la même activité depuis une vingtaine d’années. Cette situation de précarité est rendue supportable par les fréquents allers-retours (environ 3 mois/an) pratiqués vers la région d’origine où ils ont laissé leur famille. “ D’ici, de là-bas, d’ici et de là-bas à la foi ” (Missaoui, 1995), véritable fourmi (Tarrius, 1992), le commerçant marocain perpétue son activité au-delà des frontières de l’Italie, transportant des marchandises qu’il vendra par la suite sur les marchés ou à l’un des détaillants ayant ouvert une boutique sur le souk de Khouribga ou encore disposant d’un emplacement en sous-location au marché du soleil à Marseille, qui constitue alors une étape sur le chemin du retour.
Les voyages sont effectués en voiture (il y a à Khouribga un célèbre marché aux voitures italiennes), en fourgonnette, ou en autocar (suite à des accords réalisés entre sociétés de transports marocaines et napolitaines, les autocars pour Khouribga quittant la place de la gare à Naples ne manquent pas), parfois même en bateau (ligne Alicante-Salerne).

Le circulant algérien : Naples partie intégrante d’un circuit commercial transméditerranéen

La présence importante d’Algériens à Naples (mais aussi en Espagne, en Turquie, en Angleterre, au Canada, …) illustre l’ouverture de l’espace migratoire algérien et la fin de la relation bipolaire France/Algérie . Nombre d’entre eux sont des commerçants nomades originaires de l’est du pays, en possession d’un visa d’affaires. Leur organisation s’appuie sur la présence de groupes sédentaires résidant à Naples et repose sur un triangle commercial qui comprend San Giuseppe dans la zone vésuvienne (rebaptisée “ Saint Joseph ”) pour les produits textiles (linge de maison et parures matrimoniales, vêtements), San Pietro à Patierno au nord de Naples pour la chaussure et le quartier de la gare à Naples qui remplit outre la fonction de centre d’achat en gros (contrefaçons de jeans et d’articles de sport), celle plus complexe de centre d’hébergement, de services et de tractations. Le choix du produit s’adapte avec une grande souplesse à la demande (certains Algériens alimentent ainsi les boutiques de Marseille et Alger) et à la conjoncture (modes, …). Naples est appréciée à la fois pour la diversité des produits et pour le prix des marchandises, qui conservent néanmoins le prestige du made in Italy. Depuis peu, ces commerçants effectuent une partie de leurs achats auprès de la centaine de grossistes chinois qui ont récemment ouvert leurs portes dans le quartier de la gare .

Le marché de gros napolitain s’articule pour ces migrants à un circuit commercial transméditerranéen. Ils se sont en effet spécialisés dans l’acheminement de marchandises entre la France, le Mezzogiorno et l’Algérie, si bien que leurs pratiques forment un véritable triangle commercial qui comprend Naples, Marseille et Alger. L’importance des circulations (maritimes, routières, ferroviaires) entre ces trois pôles en témoigne. En effet, si le développement du marché napolitain doit probablement être associé au déclin de Belsunce à Marseille , la place marseillaise est loin d’avoir disparue : les connexions entre Belsunce et Naples ne manquent pas. Au car d’une célèbre société de transports effectuant deux fois par semaine l’aller-retour Naples-Marseille, les commerçants préfèrent un mode de transport auto-organisé. Ainsi, il existe à notre connaissance deux autocars quittant chacun la place Garibaldi deux fois par semaine. L’un capte plutôt le réseau d’Annaba, l’autre celui de Constantine . Les points de départ et d’arrivée sont des hôtels de Naples et de Marseille, disposant chacun d’un entrepôt. Pour la plupart de leurs passagers, Marseille est une étape vers l’Algérie.

Ces deux figures, des Marocains “ fourmis ” et des circulants Algériens, sont complémentaires : par leurs pratiques marchandes circulatoires, ces commerçants transforment la place napolitaine, sans en faire nécessairement un lieu d’installation permanente. Naples est ainsi devenue partie intégrante de territoires circulatoires, entendus comme “ socialisation d’espaces supports à des pratiques de mobilité ” (Tarrius, 2000). Dans cette perspective, les marges urbaines ne sont pas nécessairement des espaces d’errance pour des étrangers sans ressources matérielles et symboliques mais partie intégrante, au cœur de réseaux transnationaux, d’un archipel de lieux-clefs pour les migrants.
En outre, ils participent dans l’aire métropolitaine de Naples du développement d’une économie du migrant qui a pour conséquence une certaine renaissance du quartier de la gare à Naples. La transformation du quartier comprend plusieurs aspects : lieu de rencontre, de socialisation et d’échange de devises (le quartier est le point d’arrivée et de départ de nombreux autocars pour Marseille, le Maghreb mais aussi la Pologne et l’Ukraine) et de marchandises, lieu de passage et point d’appui (parfois le quartier constitue la toute première étape du parcours migratoire en Italie), point commun entre toutes les communautés marchandes qui la traversent, lieu de territorialisation (institutionnalisée par la création durant l’été 2001 d’un marché pour ces vendeurs de rue) et d’approvisionnement du commerce ambulant. Le quartier, longtemps déconsidéré, a recouvert, grâce à l’économie du migrant, une identité propre. Les Italiens ont également profité de cette dynamique par la valorisation d’une série d’activités tombées en friches, comme celle des hôtels.
La multiplicité de ces aspects et la complexité des dynamiques qui traversent ce quartier contribuent à en faire un espace cosmopolite de rencontres et d’échange, au sens ou il y a instauration de proximités sociales entre populations diverses, “ co-présences tributaires des mobilités, de populations riches ou pauvres, ethniques ou non ” (Tarrius, 2001).

Bibliographie

  • CARITAS, Immigrazione, Dossier statistico 2000, Anterem, 2000.
  • CATTEDRA R., LAINO G., “ Espaces d’immigration et formes urbaines : considérations sur le cas de Naples ”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol.10, n°2, 1994.
  • DE TAPIA S., “ Echanges, transports et communications : Circulation et champs migratoires turcs ”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 12, n°2, 1996.
  • MA MUNG E., Dispositif économique et ressources spatiales : éléments d’une économie de diaspora, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 8, n°3, 1992.
  • MA MUNG E., “ Non lieu et utopie : la diaspora chinoise et le territoire ”, in BRUNEAU M., Les Diasporas, Montpellier, Reclus, 1999.
  • MA MUNG E., Autonomie, migrations et altérité, dossier pour l’obtention de l’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Poitiers, 1999.
  • MERONE F., SCHMOLL Camille, “ Marocchini d’Italia, il caso di Poggiomarino multietnica ”, Afriche e Orienti, n° 3-4, 2000.
  • MISSAOUI L., “ Petit ici, notable là-bas ”, Revue Européenne des migrations internationales, vol.11, n°2, 1995.
  • PIORE M., Birds of passage. Migrant labour and industrial societies, New York, Cambridge University Press, 1979.
  • PORTES A., “ La mondialisation par le bas, l’émergence des communautés transnationales ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°129, septembre 1999.
  • RICCIO Bruno, “ Pregi e limiti dell’ approccio transnazionale al fenomeno migratorio ”, Etnoantropologia, n°8-9, 2000.
  • SIMON G., Géodynamique des migrations internationales dans le monde, Paris, PUF, 1995.
  • TARRIUS Alain, Les fourmis d’Europe, migrants riches, migrants pauvres et nouvelles villes internationales, Paris, L’Harmattan, 1992.
  • TARRIUS A., Les nouveaux cosmopolitismes, mobilités, identités, territoires, Edition de L’Aube, 2000.
  • TARRIUS A., “ De l’ethnique à l’étranger, Migrations, Métissages, Cosmopolitismes ”, Le journal des anthropologues, n°1, 2001.
  • VALLAT C., “ Des immigrés en Campanie ! ”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 9, n°1, 1993.
  • VALLAT C., BIONDI G., MARIN B., Naples : démythifier la ville, Paris, L’Harmattan, 1998.
  • VIARD J., La société d’archipel ou les territoires du village global, édition de l’Aube, 1994.
Devamını oku: Camille Schmoll : Espaces cosmopolites et...

Benoît Fliche : Chronique d'un "exil" : Réseaux biographie et fluidité sociale

Village ayant subi l’exode rural, comme toute la région de Yozgat (Anatolie Centrale, Turquie) dans laquelle il se situe, Büyükkışla a cette particularité de connaître depuis quatre ans une renaissance alors même qu’il avait totalement disparu vingt ans auparavant et que ses habitants semblaient en avoir fait le deuil. Réinvestissant ce lieu “ physiquement ”, avec la reconstruction de maisons, comme “ symboliquement ”, à travers la création d’une association, les anciens villageois, maintenant ankariotes ou gurbetçi (exilé – migrant) mettent en place un processus de patrimonialisation de ce territoire.
Ce phénomène de retour est impulsé par Duran, un ancien göç (migrant) de France qui a effectué en 1996 son retour “ définitif ”. Si cet homme d’une cinquantaine d’années est devenu très rapidement mon “ informateur privilégié ”, nos relations ne s’arrêtent pas là : cherchant à rendre compte de son étonnant parcours dans le cadre de ma thèse, je suis aussi ce que l’on pourrait appeler son “ biographe ”. L’objectif principal de cette biographie ne réside pas dans l’élaboration d’une illustration, d’un simple exemple visant à donner chair à un discours ethnologique qui nous entraînerait dans l’un des travers si bien décriés par Passeron (1990) : celui de croire que, parce que plus suggestive par l’expérience “ vécue ” qu’elle offre, la biographie est forcément plus pertinente et se justifie par ce biais d’elle-même, sans qu’aucune interrogation méthodologique ne lui soit portée . Si je cherche à explorer plus avant les ressorts de cette vie, c’est qu’en arrière-plan se profile l’ambition de mieux comprendre comment s’articulent la liberté individuelle, les rôles qu’endossent les individus pour pouvoir se mouvoir, avec plus ou moins d’efficacité, au sein d’un paysage social et les normes sociales comme contraintes mais aussi comme édificatrices de ces rôles. Or, il semble que la biographie soit “le lieu idéal pour vérifier le caractère interstitiel de la liberté dont disposent les agents comme pour observer la façon dont fonctionnent concrètement des systèmes normatifs qui ne sont jamais exempts de contradictions” (Lévi, 1989 :1333). Plus largement, il s’agit de montrer que si, bien évidemment, le contexte social imprègne un individu, contexte qu’on ne peut se passer de décrire, —“ les biographies ne parlent pas toutes seules ” disait Lévi-Strauss à propos de Soleil Hopi (1948)— il faut aussi souligner comment ce même individu influence le contexte social, joue avec ses normes, se dégage un espace de liberté.
Pour ma part, répond en écho à cette approche biographique, une notion largement utilisée en sciences sociales : celle de “ réseau social ”. Elle paraît en effet “ tout à fait utile dès lors qu’on s’intéresse à des individus et à l’usage qu’ils font de leurs rôles plutôt qu’à des rôles et à la manière dont ils investissent des individus ; à des pratiques qui jouent des limites institutionnelles ou qui les traversent plutôt qu’à des pratiques qui les confirment ” (Hannerz, 1980 : 225), à condition de ne pas céder à une rationalisation outrancière des acteurs, travers dont nous met justement à l’abri une approche biographique.
C’est dans cette perspective que s’inscrit l’exploration d’un chapitre de la vie de Duran, celui de son expérience migratoire en France (1973-1996). Cette “ chronique d’un exil (gurbet) ” est finalement une mise en débat de cette posture méthodologique qui tente de corréler une approche biographique à une approche réticulaire dans l’espoir de rendre plus intelligible ce que l’on pourrait nommer “ la fluidité de la vie sociale ”.

Où Duran apprend ce “ dur métier qu’est l’exil ” …

La famille de Duran fait partie de cette classe de villageois légèrement aisée, suffisamment riche pour permettre à ses enfants mâles de migrer ; migration synonyme d’une promotion sociale non négligeable. Il serait cependant erroné de croire que le départ de Duran pour la France s’inscrit dans un vaste projet familial : le candidat familial désigné à l’immigration n’est pas lui mais son frère cadet qui fut le premier à tenter l’aventure à Ankara comme poissonnier. Par la suite, son mariage confirma cette sélection parentale comme migrant, car il était bien plus “ stratégique ” d’un point de vue migratoire que celui de son frère aîné : en épousant la fille du premier kislali (originaire de Büyükkisla) à avoir migré en Allemagne, il lui devenait facile de partir comme “ gendre ”. À la différence de son frère, Duran ne profite d’aucune stratégie familiale pour migrer mais d’une “ occasion ”. Revenu en 1973 de son service militaire où il avait appris des rudiments de maçonnerie, il se présente comme maçon au bureau de l’IIBK qui l’envoie quelques mois plus tard à Narbonne (sud de la France). Ce départ, pris en charge par l’Etat, ne nécessite donc aucun investissement financier de la famille . Plus que d’une politique migratoire familiale, il est le fruit de la chance : sur la trentaine de jeunes candidats, deux seulement sont retenus.
Duran arrive donc à Narbonne avec un groupe de douze autres migrants en 1973 : les premiers Turcs de Narbonne. La CFDT apprend alors l’existence de ce groupe d’immigrés et envoie deux femmes donner des cours d’alphabétisation. Assez rapidement, Duran va se distinguer de ses compatriotes par une ardeur au travail peu commune, par sa capacité d’apprentissage du français , lui qui n’a pas eu la chance de poursuivre ses études au-delà de l’école primaire, mais aussi —contrairement à ses collègues— par la compréhension des avantages que peut lui procurer la fréquentation de ce syndicat. Il noue des relations qui se révèlent forts utiles lorsque l’entreprise de bâtiment qui l’embauchait dépose le bilan neuf mois après son arrivée en France.
Trois possibilités s’offrent alors à notre gurbetçi : la première est de retourner en Turquie, solution à vrai dire inimaginable tant ce retour “ prématuré ” signifie pour lui un aveu d’échec ; la deuxième est de partir comme les douze autres turcs aux quatre coins de la France pour retrouver d’autres familles turques et un travail ; la dernière est de rester sur place. Alors qu’il maîtrise encore peu la langue française et qu’il pourrait rejoindre un cousin à Strasbourg, Duran prend la décision de demeurer à Narbonne. Sa stratégie consiste à s’éloigner de ses compatriotes, cela pour se doter d’un “ capital ” culturel dont il sait que l’acquisition ne peut passer que par cette phase d’isolement. Il fuit un environnement régi par des liens “ forts ”, des relations multiplexes , qui offrent de nombreux avantages (sécurité, emploi,…), mais qui sont aussi source d’une haute normativité. Il préfère, durant cette période, établir des liens “ uniplexes ” qui lui permettent de conserver une autonomie, quitte à les transformer par la suite en liens multiplexes (via l’amitié, par exemple). Sortant délibérément du champ migratoire turc, il s’aventure, tel un pionnier, en des terres vierges, devenant par là un “ migrant actif ” (Simon, 2000).
Grâce à la CFDT, il obtient un emploi dans une usine de peinture, ce qui lui permet de faire de très rapides progrès en français. Après quoi, il retourne dans le milieu du bâtiment comme ouvrier. Deux ans d’épargne lui permettent d’effectuer un premier retour en Turquie durant l’été 1975. Il y fait construire un immeuble de trois étages sur le bout de terrain que son père lui avait demandé d’acheter quelques années auparavant à Ankara, et y installe ses parents, sa jeune sœur, sa femme et ses enfants. Trois des quatre appartements sont loués, les loyers assurant ainsi la subsistance de la famille. Puis il retourne en France, toujours sans sa famille.
Ainsi se clôt cette période de premiers contacts avec la France. Duran a réussi en deux ans à apprendre un métier, une langue étrangère, à nouer des relations professionnelles et amicales avec quelques Français, pour en définitive investir ses petites économies en Turquie, dans un immeuble de Sentepe, quartier de gecekondu (habitat auto-construit) d’Ankara où se trouvent réunis la plupart des Kislali. A lui, revient la charge de s’occuper de ses parents : ses frères, partis en Allemagne, avaient aussi la possibilité financière de faire construire mais ils ne l’ont pas fait. Il faut attendre 1975 —époque à laquelle le village s’était déjà considérablement vidé— pour que ses parents puissent enfin s’installer à Ankara. Cependant, s’il remplit son devoir de fils aîné, signant par là son attachement à son milieu d’origine —c’est d’ailleurs de lui qu’il attend une reconnaissance “ sociale ”— il ne demeure pas moins jaloux de son autonomie gagnée en France, ce qui explique son retour sans sa femme et ses enfants. Nous pourrions dire, pour reprendre une typologie d’Hannerz , qu’il est alors dans une phase de ségrégation : il investit de façon équilibrée dans plusieurs zones de son réseau sans que ces derniers ne soient en relation les uns avec les autres. Deux zones sont ici clairement identifiables : la zone “ française ” et la zone “ turque ”.
S’amorce dès lors une deuxième période où il va progressivement prendre la figure d’articulateur social.

Où Duran devient le premier Turc de Narbonne…

Revenu en France, il s’installe comme artisan-maçon et très rapidement se fait connaître par l’excellent rapport qualité-prix qu’il offre. Des entrepreneurs immobiliers lui proposent alors un nouveau type de travail. Il ne s’agit plus simplement de faire quelques travaux de maçonnerie mais de construire des lotissements. La technique est la suivante : une entreprise sous-traite à Duran le “ gros œuvre ” (fondation, murs,…), et ce dernier se charge uniquement d’amener sur place la main d’œuvre qu’il paie à “ la tâche ”, c’est-à-dire au mètre carré. Il cherche alors des ouvriers qui trouvent leur compte dans ce travail et avec lesquels il puisse s’entendre (presque au sens littéral). Sa politique de recrutement commence dès 1979. La même année, il désire acquérir un immeuble, ce qui nécessite la venue de sa famille : en mars, ses enfants et sa femme s’installent à Narbonne. 1979 marque donc un véritable tournant dans sa carrière de migrant : sa période d’errant se clôt et débute sa carrière d’entrepreneur ainsi que celle d’articulateur ou de pivot communautaire. Il rentre alors progressivement dans une phase d’intégration (Hannerz, 1980 : 320) : au fur et à mesure, il va connecter des segments de son réseau à d’autres alors qu’aucun lien n’existait entre eux .
Deux secteurs de la zone “ turque ” de son réseau se mettent en place en 1979 : le premier est constitué de liens faibles, le second de liens forts puisque familiaux. Pour composer le premier secteur de cette zone, Duran entre en contact avec l’un de ses compatriotes des premières heures à Narbonne, parti à Bollène après la “ faillite ”, et qui est devenu son ami. Il le charge d’opérer un premier “ recrutement ” dans cette ville. Ce dernier s’effectue alors en fonction des liens amicaux qui unissent les migrants, amitié qui se trouve appuyée par une commune confession, l’alévisme . Cela n’est pas sans conséquence sur la nature des liens entre Duran et les nouveaux arrivés : de liens faibles, uniplexes, on passe rapidement à des liens plus forts, multiplexes. D’autre part, l’information circule et se crée une dynamique migratoire en direction de Narbonne, phénomène qui échappe au contrôle de Duran.
Le deuxième secteur est familial. Duran fait venir tout d’abord son beau-frère, son cousin de Strasbourg, son deuxième frère, un cousin resté en Turquie. Après quoi, la chaîne migratoire familiale prend de l’autonomie et chaque membre de la famille fait venir qui son cousin, qui son bacanak , qui son neveu.
Si ces chaînes migratoires semblent se constituer “ au petit bonheur la chance ”, leur formation répond néanmoins à certains “ principes ” structurant l’expérience migratoire. Le premier est qu’on ne migre qu’à “ bonne distance sociale ” : le migrant cherche un minimum de solidarité qui lui permette une assise pour mener à bien son “ projet migratoire ” (s’il existe !) mais évite de s’enfermer dans des rapports générateurs de contrôle social trop sévère. À cela s’ajoute la “ dette ” que l’on doit à l’accueillant. Elle paraît proportionnelle à la puissance du lien familial qui relie le migrant et l’accueillant : ainsi le migrant gagnera son autonomie plus rapidement s’ils sont éloignés, la “ dette ” paraissant moins conséquente. D’autre part, l’honneur du migrant serait sans doute atteint s’il devait compter sur l’aide d’une personne qui lui est hiérarchiquement inférieure, ce qui explique qu’il est exceptionnel de voir un cadet faire migrer son aîné. À Narbonne, j’ai pu remarquer que rares étaient les primo-migrants qui avaient fait venir leurs frères tout simplement parce que ces derniers ne voulaient pas ! Ils préféraient avoir recours à d’autres chaînes migratoires, toujours familiales mais plus “ souples ”, qui ne généraient pas une concurrence rapidement insupportable parce que fraternelle. La relation privilégiée est celle de cousinage : le lien de parenté est assez puissant pour susciter une entraide, mais il reste assez lâche pour que l’on conserve une certaine indépendance. Pour migrer, on privilégie des rapports d’égalité.
Duran peut dorénavant prétendre à une haute position sociale à l’intérieur de cette communauté naissante, si bien qu’en se créant, elle ne va pas l’entraver dans sa quête de liberté sociale. Au contraire, elle va lui procurer les moyens d’acquérir un “ honneur ”, un “ prestige ” social, désigné en turc par le terme de seref. Il est en position de force et l’arrivée d’autres migrants turcs qui auront une dette envers lui viendra le confirmer dans cette position.
À partir de 1979, Duran est un pont, un passage obligé, entre deux mondes qui s’ignorent mais qui sont en relation d’interdépendance : le monde des entrepreneurs et celui de la communauté turque fraîchement installée et qui ne cesse de croître. Conjuguant plusieurs rôles, il s’engage dans une carrière d’ articulateur entre le pays d’accueil et la communauté turque, ainsi qu’à l’intérieur de celle-ci. Il est avant tout l’intermédiaire inévitable entre le nouveau migrant et l’administration française, étant le seul à maîtriser suffisamment le français pour connaître et remplir tous les formulaires administratifs. C’est encore vers lui que l’on se tourne pour la location d’une salle de mariage ou lorsque l’on a quelques démêlés avec la police. On le perçoit alors comme représentant de cette communauté devant la justice. Si bien que très vite, il s’en sent responsable et endosse le rôle de gardien : au courant de tout, il fait attention à ce que le “ calme règne ”. Il cherche à ce que la communauté reste “ discrète ” aux yeux des autorités et sait se faire entendre. Pour finir, il devient le coordinateur de cette communauté en étant à l’origine de multiples initiatives : la création de nombreuses associations, la venue d’un instituteur turc, celle d’un imam après l’ouverture d’une mosquée, l’organisation de pique-niques etc.
Il concentre toutes les sources de l’autorité et devient un personnage central par la taille et la nature de son réseau. La première composante en est ce milieu communautaire dense, aux relations multiplexes, qui engendre inévitablement une normativité et un contrôle social fort rappelant l’ambiance villageoise turque. La deuxième est moins dense, constituée de liens uniplexes avec les “ Français ” que Duran tente souvent de convertir en liens multiplexes. Ainsi son réseau couvre l’ensemble des couches sociales de Narbonne (du député au dernier arrivé des migrants) et se caractérise par une haute centralité de proximité : Duran a besoin de peu d’intermédiaires. Le tout étant appuyé par une réussite économique exemplaire, il est alors le Turc le plus puissant de Narbonne, une position qu’il maintiendra dix ans.

Où Duran connaît les “ affres du destin ”…

N’arrivant pas à maîtriser la croissance du flux migratoire, Duran se trouve submergé par de nouveaux migrants débarqués à Narbonne parfois dans un état d’indigence. En effet, à partir de la fin des années 1980, des filières clandestines (sebeke) de migrants s’installent, irriguant la région narbonnaise via l’Espagne. Elles ont une conséquence directe sur le réseau de notre protagoniste : Duran est obligé d’augmenter le nombre d’intermédiaires turcs pour pouvoir agir dans l’ensemble de la communauté, perdant ainsi en centralité de proximité.
Par ailleurs, ces flux de population entraînent la scission entre Alévis et Sunnites en 1988. Jusqu’alors, les dissensions religieuses de Turquie n’avaient pas atteint Narbonne, Duran s’étant montré vigilant sur le recrutement de l’imam. Cependant le flux migratoire apporte des populations peu enclines à la tolérance religieuse, si bien qu’on assiste à une montée de l’islamisme et à une crispation identitaire alévie. En un an, la communauté turque se fracture sans que cela entame toutefois les relations de travail. Alévis et Sunnites ne se fréquentent plus mais continuent à collaborer sur les chantiers, la logique étant que l’on privilégie les liens faibles aux liens forts dans ce domaine, puisqu’ils garantissent la conservation d’une certaine indépendance, d’une certaine souplesse. Cette fracture a des conséquences sévères sur la position de coordinateur de Duran : au début des années 1990, il ne peut désormais coordonner des actions sociales qu’au sein du groupe alévi.
Certains de ces nouveaux arrivants ne suivent plus les filières classiques (hemsehrilik ou akrabalik) et vont constituer une main d’œuvre très bon marché. Perçus non comme des “ touristes-cousins ” mais comme des “ touristes-clandestins ” par les primo-migrants, ils sont largement exploités dans le système de sous-traitance qui fonctionne alors dans le secteur du bâtiment. En 1990, l’affaire des “ filières turques ” de Narbonne éclate : le préjudice envers l’URSSAF et les ASSEDIC s’élève à plus de cent millions de francs. Plusieurs entrepreneurs turcs tombent. Parce que son fils sert d’interprète et que lui-même est “ réquisitionné ” comme intermédiaire entre forces de police et populations turques, Duran chancelle de son piédestal, la rumeur l’accusant de collaboration.
Mais si l’affaire des “ filières turques ” lui a porté atteinte, son déclin s’explique avant tout par la sombre conjugaison de la désintégration successive de ses rôles. Son pouvoir d’intermédiaire s’étiole avec l’arrivée à l’âge adulte des enfants de primo-migrants : ces derniers n’ont plus besoin de Duran, leurs enfants étant parfaitement francophones. Le nombre de ses intermédiaires augmente, lui faisant ainsi perdre de sa centralité. La “ fracture ” a réduit son action coordinatrice au seul groupe alévi, “ l’affaire ” a affaibli son prestige. Sa seule protection contre la force corrosive des dedikodu devient de plus en plus évanescente et il commence à ressentir son enclavement. À cela s’ajoutent les choix conjugaux de ses enfants qui sont très mal perçus : prendre un “ Français ” comme conjoint revient, pour une population dont l’arrière-fond culturel impose un maintien de la pureté du sang, à un métissage fort critiquable. Duran est alors mis à rude épreuve : il se trouve en contradiction entre son esprit “ universaliste ”, sa “ modernité ” affichée, et les mécanismes de défense de son honneur structuré par des codes qui ne sont plus les siens, mais dont il ne peut se départir justement en raison de son appartenance identitaire. Au problème d’honneur familial (de namus), se joint une remise en question de son identité “ turque ”. Sa fille “ avec un Français ”, son fils “ avec une Française ” signifie qu’il n’a pas su les protéger d’une “ francisation ”, et cela parce que lui-même n’est plus réellement “ turc ”. “ Au-dessus de la mêlée ” durant dix ans, il se retrouve donc piégé par ces réseaux denses, travaillés par l’auto-surveillance et le commérage, où compte plus que tout l’image que l’on offre à l’autre.
Le “ coup de grâce ” lui est asséné en 1995 : il tombe gravement malade et doit interrompre ses activités dans le bâtiment. Un an plus tard, à la surprise générale, il effectue son “ kesin dönüs ” (retour définitif).

Où Duran retourne cultiver son jardin…

Parti simplement en vacances en 1996, il décide de demeurer en Turquie pour faire revivre son village entièrement abandonné. Pour ce faire, voyant qu’aucune initiative de ce type n’avait vu le jour alors que c’est là un mode associatif très développé en Turquie, il commence par créer une association villageoise à Sentepe (Ankara). Grâce à un cousin resté à Ankara qui lui indique quelques personnes intéressées, il présente son idée à l’ensemble des hemsehri ankariotes. Sa principale difficulté réside alors dans le fait que ces citadins semblent avoir tiré un trait définitif sur ces terres et ce passé rural. Cependant, jouant sur un imaginaire du village encore vif, Duran arrive en un an à rassembler autour de ce projet associatif l’ensemble des anciens habitants de Büyükkisla.
Duran ne s’arrête pas là. Une fois l’association fondée, il repart au village pour s’y installer malgré l’incompréhension générale et les commérages acerbes. Son obstination est toutefois payante : il prouve à l’ensemble des kislali qu’il est à nouveau possible de vivre à Büyükkisla et il remporte son pari, celui de relancer une dynamique circulatoire en direction du village. Un an après son installation, un épicier de Sentepe vient le rejoindre et se lance dans l’agriculture. Bientôt, plusieurs ankariotes reconstruisent leur maison, y séjournant l’été pour rentrer l’hiver à la capitale. Une nouvelle circulation Ankara-Büyükkisla voit donc le jour, sous-tendue par une “ esthétique ” —un renouveau du “ goût du village ” — ce qui s’accompagne de nombreuses entreprises de revitalisation de ce lieu, toutes orchestrées par Duran. En moins de trois ans, il réussit à faire planter une forêt avec l’aide des jeunes ankariotes de l’association, à rétablir la route jusqu’au village, et récemment à restaurer le muhtarlik (la mairie), ce qui fait de Büyükkisla le plus petit village, reconnu juridiquement comme tel, de la région. Bien évidemment, la fonction de muhtar (maire) lui revient “ tout naturellement ”, confirmant ainsi la reconquête de sa place d’articulateur social.

À la croisée des chemins : réseaux sociaux et histoire de vie

En conclusion, il semble pertinent de revenir sur les usages et les limites de cette approche en termes de “ réseau ”. Deux acceptions se présentent. La première pourrait être qualifiée de métaphorique (akrabalik, hemşehrilik etc.). Cet usage “ métaphorique ” a son utilité, mais le survol qu’il opère sur des problèmes centraux peut paraître regrettable. Dans cette perspective, on se limite trop souvent à dire que les individus puisent, pour arriver à leurs fins, dans tels ou tels stocks disponibles de relations (réseau familial ou hemsehri) sans que l’on se pose réellement la question des modalités, des contraintes, des marges de liberté qui sous-tendent ces expériences individuelles réticulaires. On en conclut rapidement que les réseaux des migrants sont le fruit de situations, d’opportunités que leurs procurent leur mode de sociabilité et de stratégies spécifiques à la migration. Ils sont alors désignés comme “ informels ” : les migrants n’utilisent pas les réseaux hemsehrilik et akrabalik selon des règles précises (ce qui nous arrangerait bien) mais profitent des aubaines qui s’offrent à eux, opportunistes qu’ils sont !
Face à cela, l’approche “ sociométrique ”, avec formules mathématiques et langage des graphes, se présente comme une critique de ces utilisations “ métaphoriques ” de la notion de “ réseau social ”. Soucieuse de contextualiser l’action, elle implique une grande richesse ethnographique puisqu’elle requiert des réseaux “ complets ”, c’est-à-dire des réseaux dans lesquels le chercheur dispose d’informations sur la présence ou l’absence de relations entre deux membres de l’ensemble social, quels qu’ils soient. Or, si cette méthode est extrêmement pertinente lorsque l’on travaille sur de très petites populations, elle devient difficile à mettre en œuvre dès que l’on dépasse une centaine d’individus, si bien que généralement le chercheur n’a affaire qu’à des réseaux partiels.
Entre ces deux acceptions, l’ethnologue paraît dans l’obligation de trouver une juste distance méthodologique qu’il ne peut adopter qu’en s’interrogeant au préalable sur ce que lui apportent ces analyses de réseaux. Pour moi, elles se révèlent particulièrement fécondes dans une perspective théorique qui cherche à rendre compte de cette “ fluidité de la vie sociale ”, fluidité qui doit impérativement être corrélée à la notion de “ carrière ”, c’est-à-dire d’“ une organisation séquentielle des situations vécues ” (Hannerz, 1980 : 334), en faisant ainsi appel à d’autres notions comme la formation d’un répertoire de rôles, de phases, etc., sans toutefois éliminer du champ des interrogations les ressorts de cette carrière. Il s’agit en définitive d’écrire une ethnologie “ des croisées de chemins ”, moments dialectiques entre liberté individuelle et contexte social.
Pour ce faire, j’ai recours à la biographie que j’envisage sous l’angle d’une description compréhensive. Cette dernière me semble le plus sûr garde-fou aux dérapages qui nous amèneraient seulement à montrer combien le contexte social imprègne un individu sans que l’on ne cherche à dégager comment ce même individu influence en retour ce contexte, ou qui nous ferait penser que nous avons affaire à des personnes douées d’une rationalité sans faille ou, pire, d’un parcours sans aléas. Ici résidait le pari de ces quelques lignes.
Duran commence sa “ carrière ” de migrant comme outsider. Il passe par plusieurs phases d’inscription sociale : isolement, ségrégation, intégration, enclavement. Il prend plusieurs figures (migrant actif, …) et se constitue un répertoire de rôles qui s’organise autour d’un rôle plus vaste, celui d’articulateur : d’abord intermédiaire, puis représentant, gardien, et coordinateur. Revenu à Ankara, il décide de reconquérir cette place d’articulateur. Restent alors à déterminer les ressorts de cette carrière. Nous devons probablement les chercher dans son perpétuel souci d’indépendance face à des normes sociales auxquelles il ne peut pas échapper et avec lesquelles il doit composer. Le prestige et le pouvoir qui découlent de ce rôle d’articulateur le mettent à l’abri de ces pressions normatives, lui dégageant ainsi un espace de liberté dans un milieu social aux réseaux denses dont l’affirmation des normes passe entre autres par le dedikodu, la rumeur. Et de cet espace interstitiel entre normes et liberté individuelle se crée, par deux fois, une dynamique sociale qui va toucher l’ensemble des kislali.


Références bibliographiques

  • Bozarslan H., “ État, religion, politique dans l’immigration ”, Peuples méditerranéens, n°60, 1992.
  • Degenne A, Forsé, M., Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 1994.
  • Gokalp A., Têtes Rouges et Bouches Noires, Paris, Société d’ethnographie, 1980.
  • Gokalp A., “ Les Alévis ”, in Yérasimos S., Les Turcs. Orient et Occident, Islam et laïcité, Paris, Autrement, 1994.
  • Hannerz U., Explorer la ville, Paris, Les éditions de Minuit, 1980.
  • Levi G., “ Les usages de la biographie ”, Annales, ESC, 44 (6), 1989.
  • Lévi-Strauss C., “ Compte-rendu de Sun Chief, the autobiography of a Hopi Indian, par L. Simmons ”, Année sociologique, Troisième série, I, 1940-1949.
  • Loriga S., “ La biographie comme problème ”, in Revel, J., Jeux d’échelles. De la micro-analyse à l’expérience, Paris, Le Seuil, Gallimard, 1996.
  • Olsson T., Özdalga E., Raudvere C., Alevi Identity. Cultural, religious and social perspectives, Istanbul, Swedish research Institute in Istanbul, “ Transactions ” (8),1998.
  • Passeron J-C., “ Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires ”, Revue Française de Sociologie, XXXI, 1990.
  • Simon G., “ Le concept de champ migratoire ”, communication présentée à la table-ronde “ champs migratoires et structures urbaines ”, GEOFORUM, Aix-en-Provence, 2000.
  • de Tapia S., L’impact régional en Turquie des investissements industriels des travailleurs émigrés, Paris, L’Harmattan, “ Varia Turcica ”, 1996.
Devamını oku: Benoît Fliche : Chronique d'un "exil" : Réseaux...

Anne Fayolle - La gare, nouvel espace cosmopolite ?

J’ai commencé à travailler sur les gares en maîtrise de sociologie urbaine : je débutais alors une réflexion sur les définitions de ce lieu. Or, si l’on tient compte des écrits scientifiques, des discours, des pratiques des aménageurs et transporteurs, on s’aperçoit assez vite qu’il existe une définition presque unanime : la gare est avant tout un lieu-mouvement, pour être ensuite définie comme pôle d’échange, comme espace multifonctionnel.
Ce qui est primordial pour les gestionnaires et les aménageurs de la gare, c’est la fluidité des divers mouvements générés par la gare et les multiples moyens de transport qu’elle accueille. C’est en fait donner une très large place à tout ce qui concerne la fonctionnalité du lieu. Ce qui importe avant tout aux divers aménageurs, c’est de gérer au mieux les flux d’usagers, les origines et destinations de ces flux, et faire en sorte que la gare et les divers types de transport qui lui sont liés soient adaptés à une gestion claire et efficace de ceux que l’on désigne comme “ pendulaires ”.

Mais si le discours semble explicite, force est de constater que les définitions de la gare sont complexes, même pour ses gestionnaires : il n’est qu’à voir la naissance, en 1996, à la SNCF d’une Direction du Développement des Gares pour traiter les nombreux problèmes que pose cet espace “ multifonctionnel ”, à la croisée de nombreuses logiques.

Par ailleurs la gare, lieu de la complexité et de la modernité des modes de transport et des aménagements conséquents, est traversée de toutes parts de mouvements, de déplacements divers qui débordent de ce lieu, pour aller irriguer les quartiers proches, la ville. C’est aussi un lieu où la halte, l’attente, l’immobilité sont possibles, où apparaissent, sous le regard du chercheur, des co-présences durables ou ponctuelles de populations différentes. Les gares sont donc des espaces complexes, où s’articulent de manière originale mobilités et sédentarités.

Ce n’est donc pas du haut des politiques “ managériales ”, qui inscrivent des limites aussi bien historiques, géographiques, symboliques qu’administratives, traduites par les formes du bâti, que l’on doit aborder la gare, mais par une démarche anthropologique. Celle-ci s’avère nécessaire pour restituer aux individus et aux groupes leur place dans l’analyse de ces espaces. Ces individus et ces groupes exposent en effet des contours ; ils suggèrent des processus plus complexes que les typologies parfois réductrices des acteurs responsables de l’aménagement et de la gestion de ces lieux. Ce type d’approche donne toute son ampleur à un empirisme qui s’avère alors “ irréductible ” (Schwartz) comme l’ont montré les diverses recherches présentées au cours de cette École Doctorale.

Les approches sociologiques et anthropologiques permettent donc, par rapport au sujet étudié, de mettre en lumière les usages de ce lieu en élucidant la diversité des échanges. En effet, avec la gare se pose la difficulté de définir un “ lieu-mouvement ”, un lieu fixe dédié à toutes sortes de mobilités, à la fois lieu d’arrêts, d’échanges, de croisements d’individus ou groupes aux pratiques diverses, “ temple de la modernité ” par la maîtrise de la vitesse et la conjonction de plusieurs moyens de transport.

Aborder la gare, c’est aussi un défi en regard des méthodes de l’anthropologie urbaine. En quelques points :
- Prendre la gare comme objet de recherche, c’est privilégier les analyses transversales et non s’attarder uniquement sur un champ d’analyse spécifique.
- C’est aussi dépasser le thème célèbre du “ village urbain ” que les tenants de l’École de Chicago ont largement développé, pour concevoir la gare comme un “ morceau de ville ”, ouvert de toutes parts à des usages, pratiques diverses, largement travaillé, rythmé et recomposé par des mobilités et sédentarités remettant en cause un certain “ localisme ”. Il y a imbrication des échelles territoriales, débordements dans et sur la ville médiatisés par des divers transports présents dans et aux alentours de la gare.
- Enfin, rapidement, même si il faut tenir compte de ce qui se trame dans cet espace public qu’est la gare en s’intéressant aux problèmes de la vie quotidienne (Goffman) dans ce lieu, à l’ordre public et à sa logique interactionnelle, comme le font les recherches menées par I. Joseph et alii sur la gare du Nord notamment, la gare ne peut être définie uniquement par cette approche micro-écologique s’intéressant aux notions d’“ espace public ”et d’“ accessibilité ”.

En effet, comme l’ont montré les observations empiriques sur divers terrains, s’intéresser à la gare, c’est aussi reconsidérer les jeux de proximités et de distances, leurs liens avec les techniques mises en place dans et aux abords des gares. Il s’agit alors de porter attention, à l’image de Simmel, à ce qui fait le “ liant ” entre individus, groupes et échanges : c’est l’entre-deux que Simmel met en valeur et qui concerne tant les usages de la gare.

Le travail de terrain
J’ai débuté ce travail à la gare Santa Maria Novella à Florence (Italie) durant ma maîtrise. À cette époque, mes recherches s’attachaient surtout à comprendre comment les acteurs de l’aménagement de ces lieux concevaient la gare. Et ce d’autant plus que ces dernières années, avec le développement et la diffusion des moyens de communication de masse, l’application des télématiques et l’avancée des technologies de transport, existe tout un discours politique et économique sur des lieux tels que la gare : dans ces discours, la gare, ou plus précisément ce pôle d’échange, ce “ point de réseau ” est présentée comme une structure forte de l’espace urbain, un point d’attraction et de rayonnement, un centre donc.

Il s’agissait alors pour moi de tenir compte de la situation culturelle (touristique), économique et géographique de Florence et de voir les rôles que jouait la gare dans cette ville et au-delà : quels déplacements engendre-t-elle ? Quels types de circulations la traversent pour déferler ensuite sur Florence et ses alentours ? Quels statuts a-t-elle dans la ville, c’est-à-dire quelles sont les représentations qu’elle draine dans les trajectoires des uns et des autres ? De quels rôles est-elle investie par les pouvoirs économiques et politiques quant à une gestion de ce que ces pouvoirs nomment communément des “ flux de circulation ” ?

Même si les premières approches sur le terrain montraient que la gare de Florence n’était pas qu’un haut lieu dédié aux mobilités des “ pendulaires ” mais qu’elle était, au contraire, un espace complexe dans lequel je pouvais observer qu’il existait des articulations originales entre mouvements et sédentarités, j’ai eu du mal à m’extraire des définitions explicites des acteurs responsables de l’aménagement et de la gestion de la gare, qui, comme écrit plus haut, marquent des limites d’ordre divers. Et même si, dans une démarche anthropologique, j’ai essayé de restituer au “ Génie Social ” (Sansot) sa place dans l’analyse de ces espaces, je suis quand même restée très dépendante de définitions plutôt réductrices de la gare et de la mobilité, à ce que les aménageurs et gestionnaires de ces lieux nomment “ flux ”, à ce qui finalement était plus visible, semblait plus simple ou plus clair au premier abord.

Cela dit, c’est peut-être en partant de ces définitions “ managériales ” de la gare, qu’une autre approche a été possible (une définition en creux), notamment en raccrochant la gare aux problématiques de la mobilité (Tarrius). Il est en effet tout aussi pertinent de s’intéresser à la gare comme espace de mobilité, en considérant par hypothèse les phénomènes de mobilités comme caractéristiques du mode de vie urbain.

Effectivement, il s’est avéré, en continuant les recherches en DEA sur les gares de Perpignan, Toulouse et Gare du Nord à Paris qu’il existait dans ces hauts lieux du mouvement, d’autres acteurs et groupes d’acteurs aux contours plus complexes et perméables que les typologies réductrices des acteurs de l’aménagement de ces lieux. Ces dernières, en effet, "invisibilisent" une part importante des pratiques de mobilités / sédentarités. Celles-ci, pourtant, subvertissent les frontières des lieux, les trajectoires des mobilités définies a priori par les acteurs de l’aménagement.

Et c’est en s’interrogeant “ sur la nature et la forme des échanges spatialisés, sur les modalités de structuration des territoires [territoires de, dans la gare et au-delà...] par les circulations, les flux d’hommes et de marchandises, sur les rapports entre groupes sociaux, professionnels ou non, et technique facilitant le déplacement ” (Tarrius) que le mouvement a pris un autre sens.
Il s’est agi donc d’aborder la mobilité (et donc la gare) non pas d’un point de vue uniquement spatial, mais d’en montrer ses multiples dimensions. En effet, les faits de mobilité spatiale laissent des traces et comme l’a écrit Alain Tarrius “ chaque mouvement de population dans l’espace est aussi mouvement dans les échelles de stratification sociale. Se mouvoir, c’est consommer symboliquement et factuellement du temps, de l’espace, c’est apercevoir les lieux de l’Autre, c’est manifester symptomatiquement ses places ; celle que l’on perçoit, celle que l’on désire, celle que l’on occupe ”.

Comment alors, d’un point de vue méthodologique, mettre en évidence ce langage des mobilités, c’est-à-dire quel mode de lecture adopter ?
C’est en prenant en considération les temps et les espaces que les sens des pratiques de mobilité s’éclairent. Il s’agit ici de prendre le temps comme une commodité méthodologique. Le temps a une épaisseur : il est social. Le temps associé aux pratiques des échanges spatialisés permet en fait une lecture des comportements des différents groupes, en étudiant de plus près leurs rythmes sociaux. Les mobilités prennent alors une densité plus forte (un sens plus complexe) dans la mesure où l’analyse de ces rythmes sociaux permet de définir des groupes identitaires (identités culturelles, professionnelles,...) et les territoires auxquels ils sont liés. En résumé, ces rythmes font apparaître des proximités sociales (le lien social définissant une identité s’avère donc primordial) c’est-à-dire des voisinages, des réseaux relationnels qui sont propices aux échanges (ce peut être des échanges de biens, de services, etc.), le tout créant des ensembles territoriaux, qui sont alors des constructions sociales, et formant des univers de références urbaines.
Je me suis donc attachée à voir comment étaient recomposés en proximité des espaces disjoints, éclatés par les logiques des différents programmes urbanistiques, ou du moins qui semblent comme tels de par les formes de l’urbain, bouleversant par là la conception des espaces locaux.

C’est donc à partir de cette manière d’aborder la gare et des articulations originales entre mobilités et sédentarités que la recherche en DEA s’est déroulée.

Je me suis attachée à l’étude de trois gares : il ne s’agissait évidemment pas de donner un plan d’ensemble du paysage de ces trois lieux mais de l’ordonner selon trois axes :
- La gare Matabiau, à Toulouse : quand j’ai démarré cette étude avaient lieu autour de la gare de grandes opérations d’aménagement, rénovations, constructions et démolitions : construction d’une immense médiathèque, construction tout à côté d’immeubles de standing, etc. Il me semblait donc intéressant de se pencher sur la manière dont la gare est sans arrêt témoin des transformations de la ville depuis la moitié du XIXe siècle, comment elle est très souvent (et de plus en plus ?) au centre de nouveaux développements urbains.
Effectivement, la gare et ce qu’elle suppose comme image forte de la modernité et du progrès, avec la mise en service de nouvelles technologies, la fonctionnalité et la clarté des espaces, l’efficacité, etc., représente depuis l’arrivée du chemin de fer dans les villes un enjeu de taille pour ces dernières, le chemin de fer devant jouer un rôle primordial dans leur évolution, la gare devant être la vitrine du progrès. Quelles répercussions (économiques, sur la structure sociale, sur la démographie, etc.) le chemin de fer et la gare ont-ils eu sur la ville, et vice-versa ? Quelles ont été les interactions ?

- la gare de Perpignan : elle me semblait intéressante par la position même de la ville en Catalogne, voire dans l’espace européen. C’est une ville très proche des frontières espagnoles, lui conférant en cela une place particulière. Cette position me permettait d’aborder les problématiques liées à la gare en envisageant les “ effets de frontières ”. Je pouvais donc envisager la complexité de la notion de frontière, d’autres univers de normes, d’usages, proches et lointains à la fois.
En fait, comment la gare de Perpignan et ceux qui la “ font ” (c’est-à-dire : ceux qui la traversent, l’occupent, la gèrent, …), au-delà des usages que l’on rencontre fréquemment dans ces lieux, peut-elle amener plus spécifiquement à une redéfinition des approches en termes de mobilité / sédentarité en relation avec les notions de frontières, de seuils, de limites, de passages (W. Benjamin) ?
La gare de Perpignan et les territoires qui l’environnent, de par sa position et les représentations qu’elle draine, est-elle un lieu ou, plus qu’ailleurs, arrive / repart / s’installe / disparaît l’Étranger, l’Autre qui, par sa mobilité / sédentarité traverse, subvertit les frontières, tant celles de la ville, qu’au-delà ?

- Enfin, la gare du Nord à Paris : je me suis demandée comment ce lieu de la complexité et de la modernité des modes de transport et des aménagements conséquents était aussi un espace de centralité sociale, de rencontres, “ d’irrigation ” des quartiers voisins ?
Cette gare était d’autant plus passionnante qu’elle accueille un trafic d’environ 540 000 voyageurs, ce qui en fait la troisième gare du monde et la première gare européenne : flux venant et allant dans de multiples directions (locales et régionales, nationales et internationales), irriguant les quartiers proches, la ville, mais aussi co-présences durables ou ponctuelles de populations différentes sur un même territoire.
Il s’agissait donc de s’intéresser aux rapports entre technologies (de transports, de communication…) et sociétés, et voir le jeu réflexif entre les deux, et non pas se contenter d’enregistrer les transformations dues aux techniques modernes. Je voulais aussi comprendre comment les groupes et individus se réapproprient les nouveaux moyens de transport : un grand voyageur rencontré à la gare du Nord nous dira que chaque nouvelle ligne (train, métro, etc.) mise en fonction était pour lui “comme une victoire personnelle”, ainsi il pouvait inventer de nouveaux parcours.
Je m’interrogeais aussi sur l’existence d’effets de recomposition spatiale, sociale et économique qui seraient induits par le développement et l’aménagement de ce qu’on nomme communément “un grand complexe d’échange”. Si effets il y a, à quelles échelles ont-ils lieu : “ agglomérations ”, quartiers proches, autres ? De quels types de territoires s’agit-il : juxtaposés, superposés, visibles, etc.?
Enfin, la gare du Nord, depuis longtemps déjà, met Paris en relation avec les autres villes européennes. Par la gare du Nord, c’est toute une tradition et une expérience de la circulation que je percevais : quelles logiques tous ces individus et groupes développent-ils, quels liens, quel sens dans la création d’un tissu commercial où les marchés très spécialisés, “ ethniques ” (les tamouls du faubourg Saint-Denis, longeant la gare du Nord par exemple), deviennent des pôles de rassemblement pour tous ceux qui sont dispersés à Paris mais aussi à l’extérieur; sans oublier d’autres lieux ou d’autres institutions qui semblaient fonctionner à l’échelle régionale ? Quel rôle tient la gare dans tous ces dispositifs ?
La gare n’est pas composée d’espaces abstraits, de “ non-lieux ” (M. Augé) mais est un support à un grand nombre d’échanges divers, aux subversions des espaces-fonctions par le mouvement / sédentarité, aux débordements. Bref montrer en quoi les “ situations ” de métissages, mixités ponctuelles ou durables à la gare permettent de comprendre des logiques territoriales à plus grande échelle : comment le singulier, la micro-localisation, des situations de "quotidienneté" permettent de percevoir les changements plus globaux.
C’est donc l’étude des mobilités / sédentarité qui me permettait de donner une (ou plusieurs) autre(s) définition(s) de la gare.

Voilà donc la multiplicité des axes de recherche de ce DEA, montrant bien toute la difficulté, l’éclatement et la complexité que l’étude des gares mettait en exergue.

J’ai continué en thèse sur la gare du Nord d’abord, pour ensuite me pencher sur la gare Matabiau. A partir de la gare du Nord, je désirais m’interroger sur les redéploiements de collectifs migratoires dans les villes, les nouvelles formes cosmopolites tributaires de l’amplification et de l’accélération des communications. Et cela à partir de leurs usages des dispositifs de transports les plus contemporains, les plus interconnectés, les plus aptes à articuler des niveaux territoriaux du proche au lointain.
Je voulais comprendre comment des lieux de la ville qui font centralité circulatoire peuvent faciliter les négociations indispensables à l’institution de co-présences originales, au développement de côtoiements originaux parce qu’appuyés sur les opportunités originales de communication, d’installation, de valorisation des lieux et des initiatives, de définition de nouvelles centralités territoriales urbaines, spécifiques ou collectives, permises par les déploiements les plus récents des technicités circulatoires.
C’est notamment en remarquant les installations d’Indiens (Tamouls plus particulièrement) aux proches alentours de la gare (rue du faubourg Saint-Denis), et les liens qu’ils entretiennent avec la ville et d’autres territoires (notamment des quartiers de Londres), que ces questionnements devinrent centraux.
Ces observations et d’autres encore (la centralité, et pas uniquement commerciale, de réseaux de sociabilité de la rue Myrha, par exemple) me permettaient donc de considérer la gare du Nord sous l’aspect des articulations entre lieux et populations que permettent les interconnexions de transports, et laissaient donc voir la richesse et la diversité des réseaux et des contextes d’étapes, d’installations plus ou moins ponctuelles dans la ville, de ces collectifs “ identitaires ”.

La gare devient un outil méthodologique (commodité méthodologique ?) pour approcher autrement la ville. Je m’intéresse donc à la façon dont les étrangers font “ œuvre cosmopolite ” : c’est-à-dire, comment ils créent des opportunités nouvelles pour ces mixités, ces métissages, que ne laissaient pas augurer, il y a peu encore, les spécialisations fonctionnelles et les ségrégations sociales, les affectations culturelles, économiques et ethniques urbaines ?
Les mobilités, et les rencontres qu’elles permettent hors de ces lieux d’affectation résidentielle ou commerciale urbaine, construisent dans la ville, souvent sur le mode des juxtapositions, des espaces du mélange et de la reconnaissance. Ainsi se constituent des mondes de l'altérité : autres étranges plus qu'étrangers au sens ethnique du terme, tels que jeunes sans attaches, errants (avec ou sans papiers), individus privés de l'intensité des échanges à cause de leur âge ou d'évènements divers, ou tout simplement populations ethniques s'émancipant fugitivement des contraintes de la ségrégation résidentielle.

Leurs co-présences dans des lieux du passage permettent à ces altérités d’instituer des proximités inusuelles où l’enracinement local et la légitimité institutionnelle, l’opportunité des usages fonctionnels de la ville ne font plus lien ni ordre mais permettent des échanges intenses, des initiatives de sociabilités peu vues, peu reconnues, mais réelles, bien que naissant sous le regard du chercheur.

Les gares, par exemple, lieux carrefours, autorisent, selon des rythmes sociaux que nous désirons identifier, la manifestation de ces comportements. Elles offrent la commodité de délimiter des terrains de départ des investigations. En effet, ce qui fait l’exemplarité de la gare, ce sont les rencontres permises entre étrangers et autochtones sur ce mode des altérités réciproques : là, en formations cosmopolites se côtoient, se regardent enfin, s’évitent ou se parlent, des personnes que rien ne fédère dans l’ordre habituel des co-présences résidentielles : le “ tu n’es pas d’ici ” ne fait plus sens. On peut donc dire que les gares font partie de ces lieux qui ne sont pas identifiés comme ceux d’une affectation particulière.

Conclusion :
Il s'agit donc d'introduire ici une réflexion qui ne localise pas des grands groupes de migrants dans des enclaves urbaines, mais qui met en exergue la fluidité des espaces intermédiaires, au nombre desquels se trouve la gare. Il s'agit de prendre à témoin la gare Matabiau à Toulouse, perméable à de telles manifestations cosmopolites qui contribuent à la formation de nouveaux espaces d'initiatives sociales et économiques, de rencontres, s'étendant par proximité aux quartiers voisins, et par proximité morphologique à d'autres lieux ayant les mêmes caractéristiques. Ainsi, se construit dans un même mouvement notre objet, nos enjeux épistémologiques et méthodologiques, dans ce lieu tel que la gare où les étrangers font œuvre cosmopolite.

Par ailleurs, si ce travail de thèse part d’un lieu et non d’une population, si l’étude des grandes migrations n’est pas un préalable à ma recherche (les mobilités étudiées ont pour théâtre un territoire plus restreint), il me semble cependant important de souligner, et ce, quel que soit le terrain ou l’objet de recherche, le grand intérêt porté par tous aux formes de socialisation originales (nouvelles ?) exprimées à partir des mobilités et des rencontres qu’elles permettent.
En effet, il est intéressant de voir l’importance des mobilités, quel que soit le terrain ou l’objet de recherche, dans la construction identitaire, dans le bricolage identitaire. Ce type d’approches par les mobilités semble permettre une compréhension plus fine, met en exergue des articulations originales entre espace – temps – identité, triade fondatrice des sciences sociales et humaines.
Les discussions et communications des apprentis chercheurs et des chercheurs confirmés m’ont persuadée qu’aborder les divers terrains et objets, nécessitait (avant tout ?) l’apprentissage ou la création d’un vocabulaire, la redéfinition de concepts qui nous semblent classiques ou jouissant d’une définition unanime, et ce, quel que soit le champ disciplinaire auquel on se raccroche.
Effectivement, aborder un terrain, un objet par les mobilités, montre qu’il faut s’interroger sur la polysémie des termes employés (nomadisme, territoire, espace, local, transnational, …), afin d’avoir accès à un “ savoir être total ” (De Tapia, Simon) des individus et groupes observés sur nos terrains respectifs.

Outre cette réflexion théorique, épistémologique (?), des interrogations parallèles, symétriques en ce qui concerne les techniques d’enquête sont importantes quant à l’appréhension des faits de mobilités. Là aussi, c’est une grande diversité des approches que l’on a pu remarquer : aborder la “ culture ” de la mobilité par la mise en exergue d’une biographie, pour voir le jeu entre les libertés individuelles et les normes sociales permet de dégager un espace de liberté (B. Fliche) ; entre autres, suivis, accompagnements de groupes circulants marocains pour comprendre leur dynamique circulatoire et repérer les territoires qui les supportent et les réseaux qu’ils mobilisent (C. Gauthier), pour ne citer que ces deux exemples.
Alors, à travers ces différentes recherches qui ont été exposées dans cette session d’Études Doctorales, vouloir comprendre les faits de mobilité c’est, me semble-t-il, un bricolage permanent constitutif du cheminement de recherche, d’invention, de re-création.

Devamını oku: Anne Fayolle - La gare, nouvel espace...

École doctorale Mobilités et migrations inter-régionales et internationales dans les grandes métropoles 28/05-02/06/2001

Mobilités et migrations inter-régionales et internationales dans les grandes métropoles.


Sommaire des articles :

  • La gare, nouvel espace cosmopolite ?
  • Chronique d’un “ exil ” : Réseaux, biographie et fluidité sociale.
  • Espaces cosmopolites et circulants transnationaux : les effets des mobilités contemporaines sur les territoires méditerranéens.
  • Mobilités et aires métropolitaines des villes secondaires du delta du Nil.
  • Constructions identitaires, territoires et réseaux : le cas des alévis de Turquie.
  • Les Jeunes issus de l’immigration turque en France : Comment sortir de la vision dualiste ?
  • Géographie du mouvement : Les flux migratoires entre le Maghreb et la Turquie dans la structuration des espaces urbains parcourus.
  • Les nouvelles formes de mobilités des Palestiniens : Diaspora ou réseaux transnationaux structurés ?
  • Mobilité / Immobilité des Sans.
  • Français de Casablanca et Américains de Paris : entre éloignement et distance sociale.
  • Analyse des stratégies des associations d’aide aux demandeurs d’asile aux frontières : exemple de l’aéroport parisien de Roissy Charles De Gaulle.
  • La métropole athénienne dans les parcours migratoires.
  • Les quartiers du centre-ville stambouliote : une histoire marquée par les migrations.
Devamını oku: École doctorale Mobilités et migrations...

Appel à contributions OUI session d'école doctorale Mobilités et migrations inter-régionales et internationales dans les grandes métropoles 28/05-02/06/2001


Renseignements

deuxieme Session de l'école doctorale

Réseau des observatoires urbains du pourtour MÉDITERRANÉEN

(Ministère des Affaires Etrangères - Ministère de la Recherche)

ISTANBUL du 28 MAI au 1er juin 2001

Mobilités et migrations inter-régionales et internationales dans les grandes métropoles

Appel à participation des doctorants

À la suite de la première école doctorale de la coordination des observatoires urbains du pourtour méditerranéen organisée par le Centre d'Etudes et de Documentations Economiques, Juridiques et Sociales (Le Caire, Egypte) du 14 au 18 décembre 2000, l'Observatoire Urbain d'Istanbul organise la deuxième session qui se tiendra du 28 mai au 1er juin 2001 dans la région d'Istanbul. Le thème retenu pour cette école doctorale a trait aux différentes méthodes d'analyse des migrations et mobilités inter-régionales (internes à un pays) et internationales dans les grandes métropoles, à l'heure où leur ampleur et où les apories du discours officiel exigent un renouvellement des approches. Le point de vue adopté, original dans le cadre des études sur les migrations, consiste à ne pas distinguer mobilités internes et mobilités internationales, dans la mesure où celles-ci s'entremêlent dans les territoires métropolitains.

Les questions posées seront :

  • Quelles sont les catégories mobilisées par le discours officiel et la recherche dominante à caractère économique, politologique et démographique ?
  • Quels peuvent être les apports d'autres discours (par exemple de type anthropologique) au renouvellement de l'analyse ?
  • Comment analyser la mobilité non pas comme seule contrainte, mais aussi comme ressource et stratégie ?
  • Quels sont les réseaux sociaux mis en œuvre par ces mobilités et migrations ?
  • Quels types de territoires urbains sont construits par ces mobilités et migrations, et comment sont-ils configurés ? Comment, dès lors, caractériser la présence du migrant dans ces territoires et ses rapports à des espaces différenciés ?

Modalités d'inscription des doctorants

Les doctorants inscrits dans les universités françaises ou étrangères, en sciences sociales et humaines intéressés par ce projet sont invités à poser leur candidature selon les modalités suivantes :

Il leur est demandé d'envoyer :

  • un curriculum vitæ établi selon le modèle joint en annexe,
  • un bref résumé de leur projet de thèse (15 lignes maximum),
  • une lettre du directeur de thèse sur l'état d'avancement du travail précisant en quoi ce dernier justifie la participation du candidat à l'école doctorale (priorité sera donnée aux doctorants déjà engagés dans un travail de terrain et en possession d'une problématique bien argumentée),
  • un projet d'intervention en rapport avec une des problématiques de l'école doctorale (une page maximum).
Le dossier sera adressé, au plus tard le 31 mars 2001, au secrétariat scientifique de l'école doctorale :
de préférence par courrier électronique en fichier attaché format RTF à l'adresse : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. (la lettre du directeur de thèse sera directement envoyée à l'adresse ci-dessous).
à défaut sur support papier, à l'adresse de l'Observatoire urbain d'Istanbul – Ecole doctorale : Institut français d'études anatoliennes, Nuru Ziya Sok. N. 22, P. K. 54, 80072 Beyoğlu/ISTANBUL – Turquie.
Vingt à vingt-cinq doctorants seront sélectionnés par le comité d'organisation de l'école qui en informera tous les postulants au plus tard le 30 avril 2001.
Les frais de transport, de restauration et d'hébergement des candidats sélectionnés seront intégralement pris en charge par le comité d'organisation, sans avance de la part des candidats.

Le programme définitif de l'école, avec la liste des doctorants, des animateurs scientifiques et des conférenciers, et le détail du déroulement des journées, sera communiqué dans le courant du mois de mai 2001.

Pour toute information complémentaire sur les modalités d'inscription :
This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.

Observatoire urbain d'Istanbul : (0090) 212 244 17 17 poste 116

------------------------------------------------------------

Problématique générale et enjeux scientifiques : explicitations

Les métropoles du pourtour méditerranéen polarisent des mouvements de population de nature, d'intensité, de temporalité et de rayon très variables, qui contribuent à la fois au dynamisme économique des métropoles, à leur animation quotidienne, à leur aura culturelle, à leurs changements sociaux et à leurs transformations démographiques.

Il s'agit à la fois de migrations en provenance de provinces plus ou moins éloignées des pôles urbains, de mobilités (intra-annuelles) entre ces provinces et les métropoles, de migrations en provenance de pays étrangers et de mobilités (sans installation durable), parfois très sporadiques, entre les territoires étrangers et les métropoles.

Face à ce phénomène complexe, les seuls paradigmes confortables et souvent réducteurs de la « migration rurale » et de « l'émigration de travail », souvent présentées sous un angle unilatéral paraissent insuffisants. En outre, l'approche statistique dominante des phénomènes migratoires, approche par définition statique, est impuissante à rendre compte des turbulences démographiques constitutives de la nouvelle métropolité.

La méthode trop courante qui consiste à assigner à chacun un lieu et une identité exclusifs doit être dépassée. On peut être d'ici et de là-bas en même temps. En conséquence, il est nécessaire de parvenir à intégrer dans l'analyse les pluri-appartenances, les retours, les « allers et retours » et les « circulations » en fait incessants, inscrits ou non dans les « champs migratoires » définis par les migrations à proprement parler.

Pour en finir avec les approches réductrices, l'objectif est de réfléchir aux méthodologies à mettre en œuvre pour rendre compte de phénomènes désormais saillants dans l'économie et le fonctionnement métropolitains. A ce titre, seul un fin travail de terrain de type anthropologique, affranchi des catégories et a priori communs, peut permettre de saisir les mobilités dans toute leur subtilité et diversité. Collecte de récits de vie, observation flottante et enquêtes menées dans les différents espaces investis (parfois très subrepticement) par les migrants peuvent constituer des méthodes fructueuses pour briser les discours convenus.

Concrètement, plusieurs axes vont être dégagés au cours des journées :

1. – Essai d'analyse critique du discours dominant

Par « discours dominants » on entend en premier lieu les discours produits par les pouvoirs politiques, économiques et les grandes institutions internationales ou régionales du type ONU, UE ou OCDE. Des extraits de rapport seront utilisés pour conduire ce travail préalable indispensable, sorte de tabula rasa conceptuelle. En second lieu, on s'efforcera de décrypter les discours académiques sur la migration et la mobilité, qui fondent bien souvent les discours dominants précités, en s'adaptant à la demande. En d'autres termes, on cherchera à comprendre les conditions de production du discours scientifique en relation avec la nature et les attentes des commanditaires. Pour ce, on procèdera à un état et à une caractérisation des matériaux communément à disposition (« littérature grise », littérature académique, statistiques...), censés décrire les mobilités. Sur quels présupposés et sur quelles méthodes reposent ces analyses ? Comment sont construites les sources utilisées ? Quelle vision de la mobilité produisent ces analyses ? A cet égard, les doctorants comme les animateurs scientifiques seront invités à présenter et à critiquer leurs sources en tenant compte de l'origine et des conditions de production de celles-ci.

Par là, on espère mettre à jour les paradigmes usés, voire les idéologies ou préoccupations sous-jacentes, qui généralement gênent et parfois biaisent franchement l'appréhension des mobilités métropolitaines.

2. – Essai d'élaboration conceptuelle : nouvelles lectures du fait migratoire

Sur la base de la critique du discours dominant développé dans le premier point, on essaiera de faire émerger d'autres modalités d'appréhension des phénomènes migratoires, en examinant comment chacune des disciplines du champ des sciences humaines et sociales peut à sa façon contribuer à la fois à déconstruire les discours dominants et à proposer des voies de recherche plus fines et mieux adaptées.

Pour ce faire, on tentera une mise au point sur les notions-clés de « migrants », d'« identités multiples », de « diaspora », de « champ migratoire » et de « territoire circulatoire ». Cette mise au point reposera sur les travaux récents des animateurs scientifiques. Chaque doctorant aura là de plus la possibilité d'exposer la méthodologie et la terminologie qu'il compte utiliser, et de la soumettre à discussion et confrontation.

Cette tentative d'élaboration conceptuelle nous permettra de sortir d'une vision encore trop courante de la migration comme processus contraint et « définitif », créant un « ici » et un « là-bas », qui seraient des territoires définis et parfaitement distincts, comme un « avant migratoire » et un « maintenant post-migratoire » durablement scindés. De la sorte, une place pourra être faite aux mobilités qui ne se soldent pas par des changement de résidence enregistrables par l'état civil des Etats-Nations-Territoires débordés par ce genre de flux, mais qui dessinent plutôt des territoires de vie et d'activités souples et pluriels, à cheval sur plusieurs cadres nationaux.

3. – Etude de la mobilité comme ressource et stratégie

Parmi les changements de point de vue à promouvoir, celui qui consiste à analyser les mobilités comme pourvoyeuses de ressources complémentaires (ainsi les mobilités à la valise à peine encore étudiées à Istanbul) ou principales et même comme fondatrices de véritables "entreprises économiques de l'entre-deux" semble heuristiquement fécond. En effet, la tendance dominante tend à faire des migrations la résultante quasi mécanique d'une contrainte – souvent d'ordre économique ou « politique », sans d'ailleurs que ces catégories soient précisément définies dans les typologies de causes inlassablement produites – à laquelle le candidat-migrant serait irrépressiblement soumis. En rupture avec ce point de vue, il paraît intéressant de restituer au migrant sa part d'initiative et sa capacité à s'inventer et à se dessiner un « projet de mobilité ». En d'autres termes, il s'agit de faire du migrant un acteur et d'envisager la migration comme ressource et stratégie.

Par exemple, la mobilité et les stratégies migratoires sont étroitement liées aux transformations des territoires métropolitains par le biais des projets immobiliers. Dans ce cadre, une étude des rapports entre production du bâti, état du parc de logement et mouvements de populations pourra être esquissée. De fait, on s'aperçoit que les transferts de fonds (qui permettent de construire et de construire encore), de savoir-faire, de modes de vivre/consommer et de compétences sont fortement associés aux mobilités en tout genre. De même, l'examen du rapport entre taux de vacance du parc de logement et turbulence de la population doit être conduit, de manière à mieux cerner la réalité des stratégies immobilières des personnes mobiles et les divers modes d'habiter dans les métropoles. En effet, les migrants peuvent être considérés comme des métropolitains intermittents.

4. – Réseaux sociaux et mobilité

Dès lors, il importe d'introduire la notion de réseau social, sans laquelle l'analyse de la mobilité-migration ne s'en tiendrait qu'à la surface des phénomènes. Le questionnement pourrait être le suivant : quels réseaux familiaux, religieux, politiques, géographiques (villageois ou régionaux) et économiques, la migration et la mobilité mettent-elles en jeu ? En quoi chacun de ces réseaux d'allégeance et d'appartenance participe-t-il à la définition et redéfinition du projet migratoire ? On espère par là – à l'inverse de l'approche essentialiste – montrer comment les identités se redéfinissent continuellement en fonction des contextes et des opportunités offertes par les différents réseaux sur lesquels repose l'expérience migratoire.

Pour cela, on s'intéressera par exemple au rapport entre stratégies matrimoniales et itinéraires migratoires, au fonctionnement des réseaux villageois et à leur rôle dans l'insertion économique, et plus généralement aux activités associatives intramétropolitaines, qu'elles soient de nature religieuse, politique ou géographique.

5. – Mobilité et configuration des territoires urbains

Comme il n'y a pas nécessairement d'installation visible et de mise en scène du migrant-mobile, les modes d'investissement des espaces métropolitains par ces acteurs varient et ne produisent pas nécessairement du territoire – continu, stable, physique, cohérent – tel qu'on l'entend communément.

Ici, une critique de la notion de « territoire ethnique » devra être menée, en tant qu'elle apparaît trop fixiste, réductrice, et « assignatrice », voire essentialiste (selon la logique sous-jacente « un territoire, une ethnie »). Le « territoire ethnique » n'est qu'un des modes d'expression de la présence migrante à la métropole, présence qui se traduit généralement par un rapport plus subtil et moins spectaculaire à celle-ci. La remise en question de la notion de « territoire ethnique » et d' « identité ethnique » des migrants doit permettre de dépasser la simple mise en scène touristico-commerciale de cette présence. En effet, tous les groupes de migrants ne sont pas producteurs de leur propre Chinatown bien visible et délimitée, susceptible en cela de conduire à une folklorisation de leur présence. Les activités des migrants demeurent néanmoins le moteur d'un accrochage territorial indéniable, même si ces activités sont cachées, mobiles (cas des vendeurs de rue), toujours précaires. L'analyse de l'articulation entre territoire de résidence (souvent peu visible et changeant) et territoire d'activité, en faisant éclater la notion de « territoire ethnique », rendra mieux compte de la complexité de la présence des migrants dans la métropole.

Pour ce, une journée de travail sur le terrain, et l'analyse in situ des territoires et activités de la migration et de la mobilité est prévue. Elle traduit la nécessité d'une approche anthropologique, précisément territorialisée dans des quartiers comme celui de Lâleli, dans la gare routière inter-urbaine d'Esenler ou sur les marchés du travail des Roumains, Moldaves, Azéris et autres.

DEROULEMENT DES TRAVAUX

L'école se tiendra sur 5 jours, du lundi au vendredi compris. Elle combinera des interventions des doctorants, ciblées dans le cadre des questionnements présentés ci-dessus, et soumises à une discussion portée par les animateurs scientifiques, et des interventions ponctuelles d'experts travaillant sur le terrain stambouliote.

Les travaux se dérouleront pour partie au sein de groupes de travail, pour partie lors de séances plénières de synthèse. A cela sera intégrée une journée de travail sur le terrain qui permettra de nourrir les travaux par des exemples concrets.

Observatoire urbain d'Istanbul

Ecole doctorale

Mobilités et migrations inter-régionales et internationales dans les grandes métropoles

Modèle de CV

Nom :

Prénom :

Age :

Adresse :

Tél/Fax :

E-mail :

Etudes supérieures (établissement, discipline, spécialisation) :

Licence :

Maîtrise (préciser le titre du mémoire) :

DEA (préciser le titre du mémoire) :

Thèse (préciser le titre de la thèse) :

Date de première inscription en thèse :

Langues maîtrisées pour la compréhension orale et écrite :

Activité professionnelle pendant la préparation de la thèse :

Activités et publications éventuelles en rapport avec la thématique des migrations et mobilités :

Devamını oku: Appel à contributions OUI session d'école...

A venir une conférence de Michaël Thevenin "De l’activité pastorale dans l’Est de la Turquie : Chronique d’une culture séculaire, entre logiques tribales, nationalismes et patrimonialisation "

Patrimonialisation chez les populations de pasteurs et de pêcheurs en contexte musulman, 21 mars 2014, Collège de France, Salle de conférence de la rue d’Ulm, 3, rue d’Ulm 75005 Paris, Organisateurs : Anne-Marie Brisebarre et Yazid Ben Hounet

Résumé :

Dans cette intervention, il s’agira de confronter les pratiques pastorales des populations kurdes dans l’Est de la Turquie - culture millénaire - au processus de patrimonialisation actuellement à l’œuvre dans ce pays. La mise en  patrimoine des cultures pastorales anatoliennes est-elle pertinente ou seulement envisageable dans cette région ?

Les pratiques pastorales de l’Est de la Turquie se caractérisent, à l’instar des abris d’alpage, par une grande diversité due à la fois au contexte géographique, historique et social, mais aussi à l’arrivée récente de l’Etat-nation Turc et du nationalisme kurde, et dont la conséquence la plus marquante est la multiplication des appartenances identitaires. Nous assistons à une impossible standardisation de ces pratiques et une patrimonialisation tout autant hypothétique compte-tenu du jeu à somme nulle des forces en présence.

A travers trois exemples, la tribu kurde des Beritan, la tribu Turkmène des Sarikeçili et la Dengbêjî (chant traditionnel kurde), nous dessinerons les contours de trois mises en représentation des bergers anatoliens - celle des communautés pastorales, celles des nationalismes Turc ou Kurde, et celle les logiques internes au phénomène de patrimonialisation – et d’une problématique propre qui pourrait ouvrir un autre champs du possible, au delà de la fabrique patrimoniale, vers la reconnaissance d’un domaine pastoral.

Devamını oku: A venir une conférence de Michaël Thevenin "De...

Nouvelle parution : Tchétchènes. Une diaspora en guerre

Laurent Vinatier, Tchétchènes, une diaspora en guerre [Monde en migration], Paris, Petra, novembre 2013, ISBN : 978-2-84743-085-1

Devamını oku: Nouvelle parution : Tchétchènes. Une diaspora en...

Nouvelle revue: Caucasus survey

Dear friends, colleagues
Caucasus Survey's website is now operational. The journal was presented on Novembre 12 at the Royal Institute for International Affairs at Chatham House.


A presentation will take place at the CERI (Paris) on December 10, 17pm.
Presidency: Sophie Shihab, Le Monde

with

Laurence Broers, Editor of Caucasus Survey; School of Oriental and African Studies (SOAS), London
Caucasus Survey: A new scholarly voice for a dynamic region

Thorniké Gordadzé,associate researcher at the CERI-Sciences Po
L'année électorale dans les trois pays du Sud-Caucase. Ruptures et continuités

Mayrbek Vatchagaev, Editor, Jamestown Foundation
L'élément Nord-Caucasien dans le conflit syrien et ses possibles conséquences

Adeline Braux, Institut Français d'Études Anatoliennes, Observatoire du Caucase, Bakou
Caucase du Sud : recompositions plurielles d'un champ migratoire


CERI-56 rue Jacob, 75006 Paris / Salle de conférences

Devamını oku: Nouvelle revue: Caucasus survey

Les « Jardins de l’Hevsel » : patrimonialisation ou urbanisation ?

Les jardins de l’Hevsel à Diyarbakır viennent d’être admis, avec le centre historique et ses murailles, sur la liste indicative du patrimoine de l’UNESCO par le Ministère turc du Tourisme et de la Culture.  Ils représentent une surface d’environ 300 hectares étagés entre la muraille romaine et le Tigre. Voués à la culture du murier du ver à soie à l’époque ottomane, ces jardins vivriers et historiques sont à nouveau partagés entre l’agriculture et l’arboriculture. Ils constituent, fait notable, une « réserve historique» de première importance pour l’étude des jardins en Haute-Mésopotamie dont nous n’avons que trop peu d’exemples, pour ne pas dire pas d’exemple. À Amida/Diyarbakir des jardins sont cités dès le IXème siècle avant J.-C  par les Annales royales assyriennes qui rapportent que  le roi Assurnasirpal II combattit devant les portes d’Amida et réduisit ses vergers. Et c’est entre Tigre et Euphrate que doivent être recherchées les réalités qui ont donné lieu à « l’Invention du Paradis » et à ses descriptions dans les textes sacrés, Bible et Coran.

Lire la suite sur Dipnot

Devamını oku: Les « Jardins de l’Hevsel » : patrimonialisation...

exposition au musée de la marine d'Istanbul : Piri Reis

en ce moment à Istanbul
Devamını oku: exposition au musée de la marine d'Istanbul :...

Nouvelles conférences sur Diyarbakır à Louxor 8-12 décembre 2013 - HU-BTU First International Conference on Heritage Conservation and Site Management

Conférences sur le patrimoine de Diyarbakir
– Antoine Perez: De la réhabilitation historique à la question patrimoniale I. Amida/Diyarbakır (Turquie): une cité méconnue de l’Antiquité.

– Martine Assenat: De la réhabilitation historique à la question patrimoniale II. Mise en valeur et réhabilitation du centre ville de Diyarbakır.

 Diyarbakır, l’antique Amida, a durablement souffert d’un déficit historiographique qui a eu pour effet de minorer tout-à la fois son importance et son rôle historiques durant l’Antiquité. Jusqu’alors, elle était réputée fondée tardivement, sous le règne de l’empereur Constance II (337-361), en même temps que son imposante enceinte, l’un des plus grands remparts antiques à ce jour conservés dans le monde (plus de 5,5 km.). Le caractère monumental de cet ouvrage a, comme par effet de contraste, oblitéré l’existence antérieure de la ville, jugée anecdotique, alors même que de très anciennes mentions attestent son nom dès l’époque medio-assyrienne, à la fin du premier millénaire avant J.-C. L’identification récente d’un grand théâtre romano-italique probablement datable du haut-Empire pourrait permettre de lever un peu le voile sur cette réalité occultée. Associé à la remise en perspective des sources littéraires – gréco-latines, syriaques, arméniennes, perses, arabes -, cette découverte a permis de remettre en perspective l’histoire séculaire et le statut d’une cité qui fut probablement, outre une capitale régionale de l’empire assyrien, une fondation royale hellénistique – séleucide –, avant de constituer, dès l’époque des Sévères, au IIIe siècle ap. J.-C., une ciuitas majeure des marges orientales de l’empire romain.

 Cette longue durée, associée à la position privilégiée d’Amida, aux confins des mondes classiques gréco-romain et iranien ainsi qu’au carrefour de nombreuses cultures, composera un des argumentaires d’un dossier de classement UNESCO, dossier dont le rempart reste, naturellement, une pièce essentielle.

A. P.

Située sur le plateau volcanique du Karacadag à 70 mètres à l’aplomb du Tigre, entièrement bâtie de pierre volcanique noire,  Diyarbakır est la métropole historique de la haute Mésopotamie et le conservatoire de ses cultures successives. Depuis les années 90, le centre ville historique de Diyarbakır (158 hec, enserré dans de spectaculaires murailles romaines connaît une situation de forte pression démographique. La ville est passée de 274 000 habitants en 1980 à plus d'un million et demi d'habitants (1 570943) selon les statistiques de 2012. Dans le centre ville, l’arrivée des populations pauvres a été accompagnée du départ des populations plus aisées ce qui est à l’origine à la fois des nombreuses dégradations des bâtiments traditionnels, qui ont été également réutilisés comme fondations pour des constructions illégales, et, d’une verticalisation de la ville historique. La muraille a été envahie par les geçekondu. De ce fait les pouvoirs publics ont du faire face au processus de dégradation rapide du centre et de ses bâtiments historiques. Aujourd’hui le plan urbain s’attache à promouvoir une demande de classement de la ville au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il a été acté par une politique volontariste de réhabilitation de la muraille, en lien avec celle du centre ville et le réaménagement de plusieurs des axes principaux, qui s’est attaché à remettre la muraille en valeur, à restaurer un certains nombre de bâtiments historiques ou traditionnels et à aménager des espaces piétonniers et des espaces verts. L’ensemble de ces démarches, et en dernier lieu la dynamique que sollicite le projet UNESCO, a favorisé le développement de recherches sur l’histoire de la ville. Un inventaire des biens à protéger a été réalisé. C’est dans ce contexte que le projet AMIDA (du nom antique de la ville) a été mis en place. Il vise à protéger le site en attirant l’attention des acteurs locaux sur l’importance des aspects non nécessairement spectaculaires du patrimoine diyarbakiriote où sur la sensibilité de certaines zones topographiques (quartiers du forum, du tetrapylon, du théâtre, zones des carrières antiques, éléments en réemploi…). Il doit également permettre une acquisition ortho-photographique des murailles et l’élaboration de bases de données utiles aux recherches actuelles et futures.

M. A.

Devamını oku: Nouvelles conférences sur Diyarbakır à Louxor...

Rencontres et Débats du 6 Décembre 2013 au MUCEM. Marseille. Burçak Madran, Les défis du contemporain en muséologie et muséographie: le cas du Diyarbakir City Museum, en Turquie

Rencontres et Débats du 6 Décembre 2013 au MUCEM. Marseille. Burçak Madran, Les défis du contemporain en muséologie et muséographie: le cas du Diyarbakir City Museum, en Turquie.

Burçak Madran, muséologue et designer, directrice de TETRAZON Design, professeur au Département de la Muséologie de l’Université de Yildiz, Istanbul, Turquie et à la Faculté d’Architecture de l’Université de la Méditerranée de l’Est, Chypre donne une conférence le 6 décembre 2013 au MUCEM de Marseille dans le cadre des Rencontres et débats : à quelle distance placer le contemporain ?

"Les défis du contemporain en muséologie et muséographie : le cas du Diyarbakir City Museum, en Turquie"

Diyarbakir est une cité vieille de 8000 ans où les lieux de mémoires sont toujours restés pour la plupart confinés au sein des grands murs de la ville. Ils conservent les traces de nombreux conflits, diasporas, immigrations et assimilations qui n’ont pas créé un milieu idéal pour préserver les preuves matérielles de la mémoire collective formée par plusieurs communautés. Par conséquent, le projet du musée doit « réinventer le contemporain » afin de visualiser et de raconter le passé commun à la fois pour les citoyens de Diyarbakir et les gens qui visitent la ville.

Devamını oku: Rencontres et Débats du 6 Décembre 2013 au...
Page 5 of 16
  • Start
  • Önceki
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
  • 6
  • 7
  • 8
  • 9
  • 10
  • Sonraki
  • End

IFEA

  • IFEA’ya nasıl ulaşırım ?
  • Çalışma arkadaşlarımız
  • IFEA’ya bağlı araştırmacılar
  • IFEA’nın geçmişi
  • Kısa süreli burs
  • IFEA’da staj
  • İş imkanı

Harita Atölyesi

  • Haftanın haritası
  • Faydalı haritalar
  • Konu başlığına göre dosyalar
  • Projeler
  • Harita kataloğumuz

Kütüphane

  • Kütüphanemizin geçmişi
  • Derlemler
  • Vitrin metinleri
  • Katalog taraması
  • Arşivimizden kesitler
  • Nadir eserlerin restorasyonuna destek
  • BiblioPera
 

Arşiv

  • Sempozyumlar
  • Seminerler
  • Çalıştaylar
  • Konferanslar

Site Yönetimi

  • Yönetim
  • Etkinlik bülteni
  • Etkinlikler